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LE SOLEIL SE LÈVE AUSSI, Ernest Hemingway Fiche de lecture

La confrontation avec la mort

Le soleil se lève aussi est une histoire de bohèmes à la dérive cherchant tour à tour le réconfort dans l'alcool et l'érotisme, l'excitation dans la boxe et la corrida, qui sont l'équivalent de la guerre en temps de paix. Cet épicurisme s'apparente au désespoir. Ici sourdent déjà les deux polarités qui marquent l'œuvre d'Hemingway, la conscience de la mort et la jouissance du moment présent.

Des bars parisiens au ruisseau à truites des Pyrénées, puis aux arènes espagnoles, la « blessure » qui marque le héros va de pair avec la découverte du code qui unit « ceux qui savent » parce qu'ils ont affronté la mort et la guerre. La leçon de cette confrontation est la révélation du néant qui hante la vie et la conviction qu'il est vain d'essayer de bâtir quelque chose. La seule issue réside dans la jouissance de l'instant. Dans sa quête, Jake prend son parti de la désacralisation de ce monde sans devenir, cynique au point d'admettre la profanation des valeurs spirituelles.

Cette « diablement triste histoire » pose la question de savoir comment l'homme peut affronter la mort sans vivre l'enfer sur terre, et sans se comporter en fantoche ou en vaincu. Dans cette perspective, la norme est représentée par Jake et Pedro, opposés à la vacuité maladive du triangle que forment Campbell-Cohn-Brett. Si elle se montre parfois d'une vacuité détestable, lady Brett est un personnage d'une grande complexité. Infirmière pendant la guerre, elle a vu mourir celui qu'elle aimait ; elle a épousé un baron anglais névrosé qui la maltraitait, ce qui explique son alcoolisme et sa quête d'amants.

À la fin du roman, Brett dit seulement à Jake : « Nous aurions pu avoir tellement de bon temps ensemble. » Et il répond : « N'est-il pas beau de le croire ? » Désirer sans jamais posséder (par impuissance sexuelle ou dans une quête sans fin), tel est l'obstacle sur lequel vient buter la vie. Hemingway a mis beaucoup de lui-même dans son antihéros, et surtout cette part qui, à cause de son héritage puritain, voit dans la sexualité une entrave à la pureté totale. Un certain refus de la femme s'y montre, avant la révélation de la plénitude de l'amour qui aura lieu dans Pour qui sonne le glas (1940).

Le traitement du temps dans le roman semble nier la durée pour se limiter à des moments intenses qui sont autant de scènes mémorables. Les dialogues sont souvent superbes. Tous les sens en éveil, le narrateur jouit des paysages et ressent les ambiances avec acuité. L'action l'emporte sur l'analyse, grâce à un style qui possède le naturel de la conversation, dissimulant soigneusement le mécanisme rapide et soigneusement calculé qui engendre des scènes denses et nettes.

Le soleil se lève aussi a été adapté au cinéma en 1957 par Henry King, avec Ava Gardner, Tyrone Power et Mel Ferrer comme principaux interprètes.

— Michel FABRE

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Le soleil se lève aussi - crédits : 20th Century Fox/ Getty Images

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Ernest Hemingway correspondant de guerre - crédits : Kurt Hutton/ Getty Images

Ernest Hemingway correspondant de guerre

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