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LE SONGE, August Strindberg Fiche de lecture

Un théâtre d'images oniriques

On se rend bien compte que cette œuvre dramatique échappe à presque toutes les tentatives de caractérisation. Strindberg, qui est parvenu tout près du terme d'une carrière tumultueuse et d'une œuvre passablement disparate (La Chambre rouge, 1879 ; Mademoiselle Julie, 1888 ; La Danse de mort, 1900), après avoir expérimenté toutes les formes dramatiques à la mode, et dans une quête éperdue d'un sens à proposer à ses contemporains, en est venu à ce que l'on est convenu d'appeler un théâtre onirique : à défaut de donner une représentation intelligible de notre condition, il décide d'emprunter la démarche, le type d'images, les péripéties et les caractères propres au rêve. Au vrai, la pièce ne s'intitule pas Le Songe, mais bien Un jeu de rêve (Ett drömspel).

Voici donc des personnages qui sont des prototypes, des événements qui se jouent allégrement des lois du temps et de l'espace, et surtout des images, de grandes images symboliques, magnétiques, phosphorescentes. La présence du poète ne saurait surprendre : ce théâtre, comme l'œuvre entière de l'écrivain, a éperdument cherché à créer, à recréer afin de dépasser et d'enchanter notre condition. Strindberg aura exploré patiemment toutes les pistes, tous les genres, les sciences exactes aussi bien que les sciences occultes. Il se sera également illustré dans l'esthétique naturaliste (Père, 1887 ; Mademoiselle Julie, 1888 ; Créanciers, 1890).

Obsédé par l'amour humain, qui est à peu près le seul thème qu'il aura développé d'un bout à l'autre de son œuvre, et donc de l'amour divin, incapable de se guérir d'un romantisme congénital et radical comme son plus grand maître à penser, le philosophe danois Kierkegaard, le lui avait enseigné, Strindberg devait bien, au terme de cette quête fanatique de vérité et d'absolu, finir par traduire de la sorte son irrépressible volonté de se dire en toute nudité. Le Songe révèle cette recherche d'une unité quasi mystique.

C'est pourquoi on peut dire que la qualité majeure de cette étonnante production théâtrale tient aux images : par là s'explique aussi que la pièce ait tenté à peu près tous les grands metteurs en scène de notre temps. Pour qui s'intéresse au fascinant problème de la création littéraire, Le Songe est un sujet d'étude hors pair. L'œuvre relève certainement de ce que l'on pourrait appeler l'activité icono-motrice : à défaut de pouvoir représenter des personnages et des conflits qui satisferaient l'entendement, ce sont de grandes images polysémiques (« symboliques »), oniriques, qui viennent traduire l'indicible du psychisme. De la sorte, le caractère inacceptable ou tragique de la condition humaine se trouve réellement sublimé. Mais ce sont les prestigieuses images, floues et magiques, qui engendrent le reste. Le langage lui-même n'existe plus que dans la mesure où il tente de leur donner une valeur dicible. Au point, en dernier ressort, de se résoudre avec bonheur en poésie.

— Régis BOYER

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Écrit par

  • : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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