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LE SOULIER DE SATIN, Paul Claudel Fiche de lecture

Œuvre-testament, poème cosmique de la chrétienté, ou, comme l'écrivait Paul Claudel (1868-1955) dans une lettre de 1920, « énorme pièce dans le style espagnol avec une multitude de scènes qui se passeront à tous les coins de la terre et même dans l'autre monde », Le Soulier de satin, publié en 1929, constitue une somme démesurée, tant par sa forme que par l'étendue de la matière qu'il embrasse. On peut voir là, face au théâtre de Brecht, et à des fins bien différentes, l'autre grand versant du théâtre épique du xxe siècle. Faisant exploser les cadres de la dramaturgie traditionnelle pour élargir à l'infini les dimensions de la scène, l'œuvre postule, à l'exemple de Shakespeare ou des Espagnols du Siècle d'or, une coexistence des tonalités contraires, des intrigues développées sur un principe d'alternance, une circulation de l'action de lieux en lieux, mais aussi une étendue temporelle excédant les limites imposées par le drame absolu.

Passion et abnégation

« La scène de ce drame est le monde et plus précisément l'Espagne à la fin du xvie, à moins que ce ne soit le commencement du xviie siècle », annonce Claudel de façon désinvolte en préambule de sa pièce, ordonnée en quatre journées. Tandis que la première et la dernière, achevant le vaste mouvement parabolique que dessine Le Soulier de satin, se situent en Espagne, la seconde journée commence en Europe pour gagner Mogador, au Maroc, tandis que la troisième prend place en majeure partie sur le continent américain.

L'intrigue principale est occupée par l'amour impossible de Prouhèze – mariée à don Pélage – et Rodrigue, sans cesse rapprochés par les circonstances du drame, mais jamais mis en présence, sinon lors de la scène où ils renoncent solennellement l'un à l'autre (Troisième journée, scène 12). C'est entre le désir et l'obstacle, portée par une dynamique d'attirance et de résistance, de passion et d'abnégation, trouvant sa correspondance symbolique dans la tension entre l'amour charnel et l'union des âmes, que se construit l'action claudélienne. Ainsi, c'est pour résister à son amour pour Rodrigue que Prouhèze fait le don symbolique de son soulier à la Vierge (I, 5). De même, le dualisme religieux vient s'incarner dans l'opposition entre le mariage terrestre qui unit à Mogador, après la mort de don Pélage, Prouhèze et son cousin, le musulman Camille (Troisième journée), et le destin spirituel qui lie les deux personnages centraux – Prouhèze et Rodrigue –, à condition de les séparer ici-bas.

Ce développement, rien moins que linéaire, interrompu sous l'effet des prodigieuses distances mises entre les amants, repose sur une structure qui laisse place aux artifices purement dramatiques : ainsi de la lettre de Prouhèze, circulant de la deuxième à la troisième journée, et reçue dix ans trop tard par Rodrigue. D'autres intrigues s'inscrivent en contrepoint de la principale : Musique, cousine de Prouhèze, est unie au vice-roi de Naples, dans un univers merveilleux (II, 10) ; Sept Épées, la fille de Camille et Prouhèze, confiée à Rodrigue, rejoint au finale son aimé Jean d'Autriche (IV, 3, 8, 10). Le mode épique du récit prend le relais du dialogue (quatre pêcheurs évoquent la déchéance de Rodrigue au commencement de la dernière journée), et il arrive que la création théâtrale soit mise en abyme, comme lors du numéro clownesque de l'Irrépressible à la scène 2 de la deuxième journée. En rupture de l'action, enfin, viennent s'inscrire des débats liturgiques ou esthétiques : une discussion sur la mission de l'Église catholique et l'art de Rubens occupe la scène 5 de la deuxième journée.

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Écrit par

  • : écrivain, metteur en scène, maître de conférences à l'université de Paris-X-Nanterre

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