LE SOULIER DE SATIN, Paul Claudel Fiche de lecture
Le flot débordant du verbe
Le verset claudélien, réplique poétique du verset biblique, propulse le texte d'un souffle à la fois sacré et puissant, tandis que sa souplesse et ses variations rythmiques préservent la parole de trop de raideur et de solennité : don balthazar. « Partez. rejoignez-le ! » doña prouhèze. « Seigneur, je vous ai déjà dit que je me suis placée non plus en ma propre garde, mais en la vôtre. » don balthazar. « C'est Don Pélage seul qui est votre gardien. » doña prouhèze. « Parlez. Dites-lui tout. » don balthazar. « Ah ! pourquoi vous ai-je donné si vite ma parole ? » doña prouhèze. « Quoi, la confiance que j'ai mise en vous, n'en êtes-vous pas touché ? Ne me forcez pas à avouer qu'il y a des choses que je ne pouvais dire qu'à vous seul. » don balthazar. « Après tout je ne fais qu'obéir à Don Pélage. » doña prouhèze. « Ah ! Que vous allez bien me garder et que je vous aime ! je n'ai plus rien à faire, on peut s'en remettre à vous ? Et déjà je concerte dans mon esprit mille ruses pour vous échapper. » (Première journée, scène V)
C'est le 27 novembre 1943 qu'eut lieu à la Comédie-Française la légendaire première du Soulier de satin, dans une mise en scène de Jean-Louis Barrault qui réduisait pour l'essentiel la pièce aux trois premières journées augmentées de la dernière scène de la quatrième. Les décors et costumes de cette monumentale machine théâtrale étaient dus au peintre Lucien Coutaud, la musique à Arthur Honegger. Les rôles de Prouhèze et Rodrigue étaient tenus par Marie Belle et Barrault lui-même. Ce n'est qu'en 1972 que Barrault réalisera Sous le vent des Baléares, autre titre de la Quatrième journée.
La véritable intégrale de la pièce (à la seule exception de la scène I de la deuxième journée) est due en 1987 à Antoine Vitez, au festival d'Avignon puis à Chaillot, avec Didier Sandre et Ludmila Mikaël dans les rôles de Rodrigue et Prouhèze. Vitez et son décorateur Yannis Kokkos semblent ici avoir mis à profit les indications de Claudel lui-même, prévoyant pour sa pièce des moyens sommaires, un dispositif aux allures provisoires, un désordre propice aux constructions imaginaires. On est aujourd'hui frappé par la modernité de pareilles recommandations. Yannis Kokkos qui avait pressenti qu'un tel monument ne trouverait sa vraie dimension que dans le cadre d'un théâtre de poche, dut soutenir le défi d'accommoder cette exiguïté à la vastitude de la cour du Palais des papes, en privilégiant le plus grand dépouillement scénique, seul apte à accueillir le flot débordant du verbe.
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Écrit par
- David LESCOT : écrivain, metteur en scène, maître de conférences à l'université de Paris-X-Nanterre
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