LE SPLEEN DE PARIS, Charles Baudelaire Fiche de lecture
Un fantastique urbain
La ville porte témoignage de l'aliénation de l'individu et de l'art (ratage, prostitution, hôpital). Elle met en scène toutes les contradictions de la vie moderne (« Les Foules »), à commencer par la « tyrannie de la face humaine », grotesque et prédatrice à la fois. Cette négativité favorise chez le flâneur une lecture de la modernité dans sa différence à elle-même. De ses marges (« Les Veuves », « Les Yeux des pauvres »), de sa violence (« Le Gâteau ») et de son irrationalité peuvent naître un fantastique urbain (« La Corde ») à travers lequel Baudelaire rejoint souvent Edgar Poe. Mais, négation même de l'art, figure du mal, la grande ville, tout en étant épiphanie du moderne, est dépossession de soi. Aussi le poète ne peut-il vivre cette contradiction que sous la forme d'une opposition maintenue entre extérieur et intérieur (« La Chambre double »), entre solitude et foules, opposition irrésolue qu'il décline parfois sous la figure quasi mythique de la Tentation (« Les Tentations ») avant de multiplier de possibles lignes de fuite (« Any where out of the World »). La violence latente de la cité appelle enfin, outre la raillerie constante de Baudelaire, l'acte gratuit, acte poétique par excellence, qui porte le mystificateur à l'« infini de la jouissance » (« Le Mauvais Vitrier »).
La question de l'interprétation du Spleen de Paris. Petits Poèmes en prose, recueil inachevé, est toujours en suspens, ainsi que celle du rapport qu'il entretient avec Les Fleurs du mal et notamment avec la section de ce recueil poétique, les « Tableaux parisiens ». La critique est partagée entre ce qui serait un demi-échec, Baudelaire n'ayant pu dépasser ici la perfection des Fleurs du mal, et une ouverture considérable tant pour la poésie que pour la prose. Le destin de ce recueil qui se veut exploration d'une voie nouvelle pèse son poids face à Lautréamont, Rimbaud et Mallarmé. Il se trouve non seulement à l'origine d'un genre nouveau, mais joue son rôle dans une poétique du fragment et, davantage encore, dans une poétique de la prose qui nourrira les surréalistes, qui retrouveront dans le merveilleux parisien la magie de Baudelaire.
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Écrit par
- Jean-Didier WAGNEUR
: critique littéraire à la
N.R.F. et àLibération
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