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LE STYLE CLASSIQUE (C. Rosen)

Le style classique, tel que l'envisage Charles Rosen, dans Le Style classique. Haydn, Mozart, Beethoven (Gallimard, 1978, initialement paru aux États-Unis en 1971, sous le titre The Classical Style), « c'est d'abord un tournant dans l'évolution » de la musique ? cinquante ans de musique occidentale qui précipitent, par le fait de trois compositeurs, Haydn, Mozart et Beethoven, le xviiie siècle dans le xixe, grâce à l'affirmation et à la confirmation, l'un par l'autre, du système tonal et du tempérament égal. C'est ensuite et surtout un épiphénomène de tout ce qui a précédé, et qui peut se caractériser en termes de maniérisme, ou de maniérismes au pluriel. Il ne saurait donc être question de se faire illusion sur la notion de « style » : « La notion de style », écrit l'auteur dès sa Préface, « est indispensable à une bonne compréhension de l'histoire de la musique, mais je me refuse à l'élever à la dignité d'un véritable fait. » Tout au plus sera-t-il question ici du classicisme comme d'un « style de groupe » ; et cela n'équivaut nullement à une « école ». « La notion de style de groupe est un compromis permettant d'éviter cette fragmentation impossible... [Elle] est une fiction, une tentative pour créer un ordre, une construction de l'esprit permettant d'éclairer l'évolution du langage musical sans se laisser rebuter par la masse des compositeurs secondaires... » Dès lors, les trois compositeurs réputés « classiques » trancheront bel et bien sur le passé dans la mesure où leur manière consistera à « unir en une entité cohérente toutes les composantes (rythmiques, harmoniques, mélodiques) du style musical contemporain ». Et ce sera à partir d'eux que l'on appréciera le reste : c'est « l'individu de troisième ordre qu'il convient d'examiner à la lumière des principes de Haydn et de Mozart – comme s'en écartant parfois de manière intéressante, ou même originale ».

Si bien que « les qualités de la musique de Haydn qu'aujourd'hui nous trouvons les plus étonnantes sont souvent les moins personnelles : les juxtapositions osées de tonalités éloignées, l'usage abrupt du silence, un phrasé irrégulier – tout ceci relevait de l'héritage de la musique des années 1750 et 1760 ». Le classicisme, c'est le maniérisme au degré zéro – mais cette annulation apparaît comme l'une des possibilités du maniérisme comme tel, en sorte qu'elle ne le dément pas, même à titre rétrospectif. Les « grands » classiques n'imposent à ce qui les précédait le « passage à la limite » dont ils ont le secret que parce qu'ils respectent d'une façon cohérente, la tradition – même dans ses surprises.

D'où la prise de position fondamentale : « Sans vouloir faire de Haydn, Mozart et Beethoven des disciples avant la lettre de Hegel, la façon la plus simple de résumer la forme classique est de la définir comme la résolution symétrique de forces opposées [...]. II s'agit bien, en réalité, tant par ses aspirations que par ses exploits, d'un style normatif. » Cette normativité, Charles Rosen va la mettre à l'épreuve par un jeu éblouissant de descriptions et de comparaisons précises : ce n'est que si une telle notion résiste qu'elle peut être dite opérative ; elle opérera comme un type idéal, susceptible de se concrétiser toujours à nouveau, sans pour autant représenter un « véritable fait ». Le classicisme, ce sera une sorte d'« idée esthétique », une idée ou un schéma régulateur.

Ainsi, la fugue de la Hammerklavier apparaît-elle comme la fugue classique par excellence ; Beethoven cristallise la forme préclassique en lui donnant valeur et fonction d'archétype. Plus clairement encore,[...]

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Écrit par

  • : musicien, philosophe, fondateur du département de musique de l'université de Paris-VIII

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