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LE STYLE DOCUMENTAIRE (O. Lugon)

Les efforts fournis par les spécialistes de la photographie tout au long du xxe siècle pour légitimer le statut artistique de ce médium ont été nombreux. L'institutionnalisation de la photographie en tant qu'art s'est ainsi produite à l'intérieur des musées – d'abord américains puis européens – prenant le relais des collectionneurs privés. La photographie du xixe siècle a également bénéficié d'une véritable relecture artistique, se voyant ainsi détournée d'une stricte histoire du progrès technique, celle de ses fonctions et de ses usages, pour prendre place dans l'histoire de l'art. Cette perspective se devait d'être quelque peu redressée, car le xxe siècle a également accordé une place centrale à la question du document. Les plus grands photographes du xxe siècle ont en effet contribué à la naissance d'un paradoxe : donner à l'art une forme qui lui était a priori étrangère, celle du document. Certes, les travaux engagés depuis les années 1980 autour de la figure d'Eugène Atget (1857-1927) ont été déterminants pour comprendre ce qui, dès le début du xxe siècle, allait être le moteur historique de la relation entre l'art et la photographie : la dialectique de l'art et du document.

L'histoire du Style documentaire. D'August Sander à Walker Evans, 1920-1945 (coll. Le Champ de l'image, éditions Macula, Paris, 2001) que propose l'historien d'art Olivier Lugon commence à peu près là : avec la fin de la vie d'Atget, dont l'influence fut considérable sur les avant-gardes et les jeunes photographes américains et allemands, et à cette période de l'histoire de la photographie, aujourd'hui attentive à ne pas réduire la photographie au seul modèle des arts consacrés. Constituer en un véritable objet d'histoire ce qui jusqu'à présent avait été la description de figures quelque peu isolées (Atget, Evans, Sander), réunir ces « monstres sacrés » autour d'une même problématique historique nécessitait d'identifier clairement ce qui avait été une motivation revendiquée par les photographes, en même temps qu'un phénomène avéré par la réception de leurs images à travers l'histoire de la critique. Le style documentaire apparaît ainsi, tout au long de l'ouvrage, comme le ciment d'une génération soucieuse de produire une œuvre à partir des principes mêmes du métier de photographe. Ces principes sont fortement étrangers à ceux des arts, fussent-ils d'avant-garde. Ils reposent sur les notions de série, de commandes (fussent-elles, comme dans Les Hommes du XXe siècle de Sander, passées à soi-même) où l'agencement et la taxinomie qui avaient été les grands schémas de l'utopie utilitariste des photographes du xixe siècle se trouvent convertis en procédures artistiques. Mais c'est la « facture » de ces productions de style documentaire qui les éloignait de tous les enjeux artistiques. À l'heure où l'abstraction avait déjà marqué la révolution des arts, comment une pure image d'enregistrement, revendiquant sa précision, sa stricte valeur testimoniale, pouvait-elle prétendre s'inscrire dans le renouvellement de l'inspiration artistique ?

Il fallait d'abord rompre avec les manies avant-gardistes de la nouvelle vision d'un Moholy-Nagy ou d'un Rodtchenko, leurs points de vue basculés, leur usage intuitif du Leica si mobile ; et proposer une photographie débarrassée des contingences de la subjectivité des « artistes ». Neutralité, retrait expressif, objectivité, tous ces termes caractérisent un style où le désengagement de l'auteur semble total. Ils reflètent pourtant une rhétorique savamment orchestrée : en photographie, disparaître, laisser croire que rien d'humain ne préside au choix du sujet et à la manière de le montrer, ce principe[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences, docteur en histoire de l'art

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