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LE STYLE RUSTIQUE (E. Kris)

Ernst Kris (1900-1957) est un des historiens les plus fascinants de l'« école viennoise » en histoire de l'art. Élève de Julius von Schlosser, Kris est nommé, à vingt ans, conservateur du département de sculptures et d'arts appliqués du musée de Vienne. Historien de l'art profondément original, dont les intuitions furent toujours servies par une parfaite érudition autant que par une connaissance aiguë des œuvres et des objets, il fut également un psychanalyste de renom. Sur le conseil de Freud lui-même, il entreprit une analyse dès 1924. Il devait par la suite hésiter perpétuellement entre son métier de conservateur historien de l'art et celui d'analyste, ne parvenant à résoudre ce conflit qu'en écrivant quelques « explorations psychanalytiques de l'art » ou en exerçant parallèlement les deux professions. Contraint d'émigrer en 1938, Kris s'installa finalement aux États-Unis, où il consacra ses efforts à la sauvegarde de l'héritage freudien.

À bien des égards, les deux essais de Kris sur « Le Moulage d'après nature chez Wenzel Jamnitzer et Bernard Palissy » (1926) et « Georg Hoefnagel et le naturalisme scientifique » (1927), publiés sous le titre Le Style rustique (traduit de l'allemand par Christophe Jouanlanne, coll. La Littérature artistique, Macula, Paris, 2005), viennent emprunter la voie ouverte par Julius von Schlosser dans son étude sur les cabinets d'art et de curiosités de la Renaissance tardive (1908) ou encore dans son Histoire du portrait en cire (1911), où il retraçait l'histoire d'une pratique, l'effigie par empreinte, qui joua un rôle considérable dans l'évolution vers le réalisme du portrait occidental.

Mais Kris donne un tout autre tour à l'interprétation du problème qui préoccupait Schlosser : l'émergence d'un art « naturaliste ». Il entend suivre un chemin de traverse, dessiné par une pratique technique et permettant de faire ressortir un courant de la sensibilité artistique de la Renaissance tardive qui vient s'opposer à la référence à l'antique et qu'il nomme « style rustique ». La technique du moulage d'après nature permet d'en comprendre l'originalité profonde. Expérimentée dès la fin du Trecento en Italie, la fonte de bronze d'après une forme naturelle fait son apparition dans l'atelier des Vischer à Nuremberg au cours des années 1530. Le moulage d'après nature se répand ensuite en France, avec les masques mortuaires et dans la céramique. Ainsi cette pratique, hérésie dans l'histoire classique de la sculpture, parvint-elle à s'imposer à l'époque maniériste. Elle est alors indissociable d'une résurgence massive de l'aristotélisme, qui fait que la mimèsis peut prendre pour modèle les opérations de la nature et s'efforcer d'en suppléer les défaillances.

Cette irruption complexe de la nature dans l'espace de l'art, Kris la caractérise en faisant le portrait de l'orfèvre de Nuremberg Jamnitzer (1508-1585) et du céramiste parisien Palissy (1510-1579/1580 ?). La vie grouillante qui apparaît dans les plats du premier, le répertoire exubérant des céramiques du second autorisent à parler d'une « naturalistique » propre à cet art, qui mime la croissance organique de la nature autant que son pouvoir destructeur. L'auteur passe ensuite à l'examen d'autres phénomènes avec l'art topiaire ou les grottes artificielles.

Kris montre pourtant que cette intrusion de la nature dans l'art est chargée de contradictions et de renversements. Plus qu'une enquête sur la nature et sa représentation, il propose une réflexion sur le schème, une pensée du type. L'étude sur le naturalisme scientifique de Hoefnagel (1542-1600), artiste attaché à Rodolphe II de Habsbourg, vient préciser[...]

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Écrit par

  • : ancien pensionnaire à l'Institut national d'histoire de l'art, chargé de cours à l'École du Louvre

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