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LE TARTUFFE (mise en scène J.-M. Villégier)

Tartuffe ne serait-il pas, aussi, l'image insinuante et sombre d'une France malade ? Tartuffe ne pourrait-il point être l'une de nos constantes nationales : l'appétit de fausseté, le plaisir de vaincre par la force du calcul sordide ? Dès lors, ne peut-on pas trouver Tartuffe parmi les « collabos » vertueux et, un moment, triomphants ? Pour sa cinquième mise en scène au théâtre de l'Athénée-Louis-Jouvet, après Le Menteur, Sophonisbe, Cosroès et L'Illusion comique, Jean-Marie Villégier a remplacé les costumes xviie siècle par des vêtements 1940. Le décor suit les habits et l'intrigue se transforme.

Il s'agit donc ici d'un pari. Il s'agit de distendre le mythe littéraire, de le faire porter sur un autre temps, sans rien abandonner des arguments de Molière, mais en les adaptant à une période symbolique de notre histoire. Dans le même temps qu'il transporte l'imposteur de Molière dans les années 1936-1945, Villégier indique ainsi qu'une permanence terrible saisit le texte et les préoccupations de l'auteur libertin de 1664-1669.

Pour parler ainsi de la permanence de l'apparence et de son application à cette période noire qui fit les beaux jours de l'État français, Villégier se montre au grand jour : il joue Orgon pris par la dévotion civile, happé par celui qui le séduit, le dépouille et le meut. Acteur-metteur en scène, il fait porter l'essentiel de son travail sur la dilatation du temps de fiction : les trois premiers actes sont situés dans les années 1936-1940, le quatrième dans les années du gouvernement de Vichy, le dernier figure la Libération. Une radio, située au centre de l'espace scénique, au milieu de la cuisine bourgeoise dont Dorine et Orgon se disputent le contrôle, capte les événements, la musique et les sons de l'extérieur. Derrière cet objet, témoin historique et quotidien, un escalier, ironiquement « dérobé », parce qu'il est littéralement caché au public, permet les entrées et les sorties familiales : on se cache en haut, dans les chambres de la maison, d'où l'on peut épier, où l'on se retranche pour prier, pour penser ou pour calculer ses coups. C'est d'en haut qu'arrivera Tartuffe (Jean-Louis Cassarino), à la deuxième scène du troisième acte, après qu'on aura contradictoirement défini son cas. À ceci près que, contrairement à d'autres mises en scène (principalement celle de Jean-Pierre Vincent aux Amandiers en 1998), son arrivée est furtive, presque secrète.

Car, dans cette pièce, on attend et l'on observe l'irrésistible ascension du faux héros, la prise de contrôle du lieu, des âmes et du patrimoine. Malgré la résistance de Damis – jeune homme de gauche lisant les quotidiens du Front populaire –, l'intervention de Valère – raisonneur mis en échec jusqu'au retournement final –, les pleurs de Mariane – jeune fille ballottée par ces temps difficiles – et le décillement d'Orgon – finalement convaincu de l'imposture –, Tartuffe conquiert le pouvoir grâce au droit garanti par l'État français ; ainsi, comme on disait au xviie siècle, il « s'impatronise ».

Face à lui, il n'y a vraiment que deux femmes : la servante Dorine (Geneviève Esménard), populaire et clairvoyante ; Elmire (Dominique Charpentier), la jeune maîtresse de maison, coquette et autonome, qui sait où sont ses intérêts. Dorine dit la vérité au spectateur ; mieux, elle la montre en s'installant sur le devant de la scène : elle y plume une poule devant Orgon, indiquant par là qu'elle est servante, qu'elle régit la cuisine, qu'elle s'occupe des choses du corps, qu'elle aime le spectacle des plumes légères et blanches volant sur le sol, et surtout qu'Orgon est lui-même littéralement « plumé » à l'heure où il parle pour défendre son séducteur. Cependant, elle[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre

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