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TASSE LE (1544-1595)

À plus d'un signe semble s'annoncer, dans les années 1980-1990, un retour au Tasse : redécouverte en Italie du « poème long » (le poema, proprement dit), notamment avec La Chambre d'Attilio Bertolucci (La Camera da letto, 1984), qui se réclame explicitement du poète de Ferrare ; nouvelle traduction en France, après plus d'un siècle (la dernière datait de 1868), de la Jérusalem délivrée dont Dominique Fernandez a suggéré combien elle peut s'accorder à notre sensibilité, en la plaçant sous le double signe du roman, ou plutôt du romanesque, et de l'opéra (« il a fait le poème romanesque de son temps, un opéra en vingt chants », écrivait déjà en 1863 Lamartine, qui fut le dernier écrivain français à être nourri du Tasse, dont il lisait la Jérusalem dans la traduction du prince Lebrun, de 1774). Beauté du roman de la Jérusalem délivrée, beauté incandescente du mythe de Jérusalem où s'entrecroisent trois religions et trois mythologies, nimbées d'orientalisme, incandescente actualité de la guerre pour Jérusalem qui, au jeu dangereux des citations détournées, met le feu, comme à autant de mines, aux mots sous les mots. Triple actualité qui peut être une occasion unique de renouer, au-delà du mythe de la « folie » du Tasse, avec un genre perdu, le « poème héroïque », d'en retrouver la jouissance, comme d'en reconstruire la poétique et les enjeux historiques. Quitte à reconnaître que l'actualité (poétique et psychologique) du Tasse n'a jamais été aussi grande qu'au moment où sa postérité est devenue, pratiquement, nulle.

De la « Gerusalemme liberata » à la « Gerusalemme conquistata »

Le Tasse est né à Sorrente, dans le royaume de Naples alors sous domination espagnole, le 11 mars 1544. Sa mère, Porzia De' Rossi, est issue d'une riche et noble famille napolitaine ; son père, Bernardo, de noble origine bergamasque, est alors secrétaire du prince de Salerne, Ferrante Sanseverino, avec des fonctions à la fois diplomatiques et militaires. Jusqu'à son établissement à Ferrare, en 1565, au service du cardinal Luigi d'Este puis, à partir de 1572, du duc Alfonso II, le jeune Tasse sera tributaire des aléas de la carrière courtisane de son père, elle-même soumise aux incessants revirements d'alliances entre la France, l'Espagne, Rome et les principales principautés de la Péninsule, qui caractérisent alors la politique italienne ; carrière itinérante (de Naples à Urbin, puis de Rome à Venise et Mantoue) doublée d'une carrière littéraire : Bernardo Tasso est aussi un poète, et le courtisan se sert de la dédicace de ses œuvres comme monnaie d'échange auprès des princes dont il sollicite la protection. Tout en poursuivant ses études de droit à l'université de Padoue (1560-1562), puis d'éloquence et de philosophie à Bologne (1563-1564), le Tasse suit très tôt l'exemple paternel en dédiant au cardinal Luigi d' Este son poème de Renaud (Rinaldo, 1562), en octaves et en douze chants, sur le modèle du Roland furieux, qui fait crier au miracle par sa musicalité et la virtuosité de son auteur, à peine âgé de dix-huit ans. Les fonctions du jeune Torquato auprès du cardinal sont décevantes : aucune affinité ne l'attache à son protecteur. Mais, introduit à la cour, il a tôt fait de se gagner la faveur des princesses d'Este, Eleonora et Lucrezia, qui feront sa carrière. L'une et l'autre lui inspirèrent des vers admirables ; Eleonora sans doute les plus ardents. Les romantiques (notamment Goethe, dans son Torquato Tasso) broderont sur cet amour impossible, dont les contemporains percevaient l'écho dans l'épisode d'Olinde et Sophronie, au chant II de la Jérusalem délivrée.

Écrite de vingt-deux à trente et un ans (soit entre 1566 et 1575, mais son premier noyau remonte[...]

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La Jérusalem délivrée - crédits : Cameraphoto/ AKG-images

La Jérusalem délivrée

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