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LE THÉÂTRE DES ÉMOTIONS (exposition)

Le visage pulvérisé

Une rupture majeure apparaît dès les débuts du xxe siècle. L’inconscient et le surréalisme transforment en profondeur les codes de la représentation picturale. Le visage, siège principal des émotions, se trouve fragmenté ou relégué en marge du tableau. L’énigme du monde doit être formulée avec de nouveaux motifs. De Salvador Dalí sont ainsi exposées des œuvres dont les ambiguïtés picturales dévoilent le dédoublement du réel et son inquiétante étrangeté. Deux œuvres de 1942, Chevaliers en parade (projet pour Roméo et Juliette) et Las Llamas, llaman (« Les flammes, ils appellent ») introduisent un même profil féminin intriqué dans la silhouette d'un cavalier. L'effet oscillant de ces motifs – voir une image fait disparaître l'autre – brouille la représentation : l'émotion se fait alors perplexité.

La dernière partie de l'exposition s'écarte de toute émotion positive en accompagnant le parcours chaotique de notre histoire par des œuvres qui se veulent au plus proche de l’indicible. Peintures et sculptures mettent à mal toute possibilité d’empathie en prêtant aux visages des déformations extrêmes. D'Auguste Rodin, Le Cri (avant 1886), un élément de sa Porte de l'Enfer, fait écho au Bâilleur, une des multiples têtes de caractère de Franz Xaver Messerschmidt (vers 1771-1783). Le visage expressionniste Tête de femme d’Alexej von Jawlensky (1911), le Portrait visionnaire déstructuré de Hans Richter (1917) jouxtent ici les visages des mutilés de la Première Guerre mondiale. Le spectateur est confronté à l’horreur absolue de la déshumanisation des camps nazis avec Tête d’otage (vers 1944-45) de Jean Fautrier, ou encore Nous ne sommes pas les derniers (1973) de Zoran Mušič. L’exposition se conclut avec une installation de Christian Boltanski (Monument, 1985) qui montre à la manière d’un reliquaire des visages d’enfants anonymes, avec un effet de distanciation où l’émotion reste en suspens.

— Nelly FEUERHAHN

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<em>La Jeune fille à la colombe</em>, J.-B. Greuze - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

La Jeune fille à la colombe, J.-B. Greuze