LE TRAÎTRE (M. Bellocchio)
Comme pour Loach, Eastwood, Allen, Scorsese, Godard, Cavalier, à l’œuvre eux aussi depuis les années 1960, le temps qui passe n’enlève rien à la force du cinéma de Marco Bellocchio, même s’il a pris parfois des chemins imprévus. Il fut avec Bertolucci le cinéaste de la Nouvelle Vague italienne des années 1960. Loin de la commedia all’italiana, sans relation réelle avec les réalisateurs de premier plan dans ces années-là (Fellini, Visconti, Scola), plus proche de Godard que de Rosi, Bellocchio ne suivit pas non plus dans les années 1970 ou 1980 l’itinéraire international de Bertolucci, son presque jumeau des débuts. Son passage par le maoïsme et la place de la psychanalyse dans sa réflexion le cantonnèrent longtemps à un cinéma peu diffusé. À partir des années 2000, il a réorienté son travail en suivant deux pistes. D’une part, des films graves, utilisant un mode de narration classique, sur des histoires intimes comme Fais de beaux rêves (2016), ou des films interrogeant l’histoire et la société italienne, comme l’assassinat d’Aldo Moro dans Buongiorno,notte(2003), le Mussolini d’avant le fascisme dans Vincere(2009) ou la question de l’euthanasie dansLaBelleEndormie(2012). Cette veine lui a permis de renouer peu à peu avec le public, y compris international. D’autre part, des films plus « buñueliens », à petit budget, empreints de fantaisie et à la narration plus libre, comme Le Metteur en scène de mariages (2006) ou Sanguedelmiosangue(2015), qui ont conservé un aspect confidentiel. Si le festival de Cannes 2019, où Le Traîtreétait en sélection officielle, n’a pas fait figurer ce film à son palmarès, la critique tant italienne qu’internationale l’a accueilli très favorablement, confirmant le retour de Bellocchio au premier rang des « grands » cinéastes. En janvier 2017, il annonçait ainsi son projet dans L’Avant-Scène cinéma : « Je m'engage sur des sujets qui correspondent à mon expérience, à ma sensibilité. Il peut s'agir d'histoires tout à fait étranges. L'âge, sans doute, me donne plus de liberté de choix. Plus jeune, je tenais à ce que les sujets m'appartiennent complètement. On vient de me proposer un sujet sur Tommaso Buscetta, le célèbre “repenti” de la mafia sicilienne. Donc un film sur le thème de la trahison. On pourrait me dire que, né près de Plaisance, au nord de l'Italie, je n'ai pas grand-chose à voir avec la Sicile. Mais, avec un vrai travail de documentation bien entendu, je voudrais comprendre si je peux rattacher cette histoire à des éléments personnels, qui m'appartiennent vraiment. »
Une histoire de familles
Tommaso Buscetta, né en 1928, parrain repenti, est mort dans son lit à New York en 2000, obscurément, et donc heureusement à l’abri de ses ennemis. Assassin, tortionnaire, trafiquant, il n’était en rien un personnage sympathique. Mais l’assassinat de ses fils, de son frère, de son gendre et de son neveu fit basculer ce soldat obéissant de Cosa nostra. Buscetta se complaisait dans la légende d’une société secrète d’hommes honorables qui aurait été dévoyée par ses nouveaux dirigeants. Salvatore Riina (1930-2017), le chef des chefs, qui fit assassiner le général Dalla Chiesa, la famille de Buscetta, les juges Falcone et Borsellino, parmi des centaines d’autres, lui parut alors constituer un ennemi trahissant le bel équilibre d’un monde ancien et respectable, selon ses propres critères. Vivant sur ces mythes, mais incontestablement courageux, et constant dans son repentir, il a permis à la justice de faire arrêter des centaines de criminels, parmi les plus puissants de Sicile. Grâce à sa collaboration avec le juge Falcone, il est à l’origine du « maxiprocès » de Palerme (1986-1987).
Dans la filmographie de Bellochio, Le Prince de Hombourg(1997), adapté de la pièce de Heinrich von Kleist, méditait déjà avec[...]
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Écrit par
- René MARX : critique de cinéma
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