Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

LE TROUPEAU, film de Yilmaz Güney

Cinéma engagé

À la fin des années 1970, ce film semble être en Europe une réelle découverte parmi les deux cents films de la production annuelle turque. Il détonne par rapport à une production commerciale insipide et soumise à la censure politique. Ce film a été réalisé dans des conditions drastiques, avec des moyens techniques limités. Achetée au marché noir, la pellicule est de trois types différents, donnant à l'image un étalonnage médiocre de la couleur.

Mais son intensité dramatique et ses promesses en termes d'écriture en font une œuvre à la fois puissante et attachante. L'intrigue romanesque se transforme peu à peu en un plaidoyer politique, chargé de mettre à nu les contrastes violents d'une Turquie partagée entre tradition et modernité. Derrière la peinture de valeurs rétrogrades, Yilmaz Güney dénonce l'absolutisme patriarcal des familles, l'agriculture extensive, la misère des villes, la corruption et le chômage. Si la première partie du film décrit l'anachronisme des structures patriarcales, la seconde, à travers le voyage, met en relief le fatalisme du monde rural. Les pérégrinations entre l'Anatolie rurale et le monde urbain d'Ankara nous renvoient au thème d'une lente dépossession. Le réalisateur déroule une galerie de portraits sans concessions, éclairant des personnages en extrême souffrance. Une belle-fille obstinément muette, méprisée pour son incapacité à perpétuer la filiation, un fils démuni face à la tyrannie d'un père moyenâgeux. Cette approche implacable de la réalité turque est filmée dans ses moindres détails. Elle est montrée avec autant de simplicité que de rudesse. À travers cet itinéraire vers la mort, la Turquie moderne semble incapable de concilier ses propres diversités culturelles et géographiques. La ville devient le gouffre final d'un passé archaïque. La mort prend ici les traits d'une ultime incompréhension.

La migration du Troupeau a aussi valeur métaphorique. Derrière la résignation apparente, pointant la fin d'un monde rural traditionnel, Yilmaz Güney met en parallèle les destinées humaines et animales. L'errance dramatique prend à l'écran la forme d'une transhumance sociologique. Car le démantèlement du nomadisme équivaut à la destruction en profondeur d'une identité culturelle. Yilmaz Güney parvient peu à peu à tisser les fils de son film, révélant tant la fin des grandes familles patriarcales que l'enfermement anachronique d'un monde pastoral prisonnier de ses propres préjugés. En restituant, avec clarté, ses traditions narratives.

— Kristian FEIGELSON

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : maître de conférences, sociologue à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification