LE VENT SE LÈVE (Miyazaki Hayao)
« Le vent se lève ! il faut tenter de vivre ! » Ce vers du Cimetière marin de Paul Valéry est cité à plusieurs reprises (en français) dans ce qui devait être – le cinéaste l’a alors annoncé – le dernier long-métrage de Miyazaki Hayao. Le maître de l’animation japonaise contemporaine devait donc signer un film un peu particulier, celui qui marquerait ses adieux à son public. Et il choisit de retracer la vie d’un personnage imaginaire, Jiro, inspiré en fait par deux personnalités qui ont vécu au Japon dans les années 1920. Le premier : Horikoshi Jiro, célèbre ingénieur qui créa l’avion de chasse Zéro de la marine impériale. Le second : Hori Tatsuo, écrivain, traducteur de Jean Cocteau, lecteur de Proust, Gide et Mauriac, auteur d’une autobiographie dans laquelle il évoque la mort de sa fiancée tuberculeuse. Ce livre est d’ailleurs intitulé Kazetachinu, izaikimeyamo (en français : « Le vent se lève, il faut tenter de vivre »), titre dont Miyazaki a repris la première partie afin d’intituler son film. Horikoshi a servi de modèle pour tout ce qui concerne l’aéronautique ; Hori, pour l’histoire d’amour et la dimension profondément romanesque.
« Créer de beaux rêves »
Quand le film commence, Jiro est un jeune étudiant, passionné d’aéronautique. Un soir, il rêve : sur le toit d’une maison, il monte dans un avion aux ailes enveloppées de plumes d’oiseau. Il s’envole. Des engins noirs menaçants apparaissent, Jiro tombe en piqué vers le sol. Un autre personnage célèbre intervient. C’est Giovanni Battista Caproni, grand constructeur italien (qui fit fantasmer Miyazaki durant son enfance). Il déclare au rêveur : « Les avions ne sont ni pour la guerre ni pour les affaires, mais pour de beaux rêves. » Alors, Jiro se réveille en murmurant : « Je veux créer de beaux rêves. »
En une séquence, Miyazaki a tout dit. On sait qu’il a passé sa jeunesse entouré de maquettes d’avions. Son père et son oncle géraient une usine d’aéronautique. Né en 1941, année du bombardement de Pearl Harbour par son pays, le cinéaste avait quatre ans au moment d’Hiroshima. Il a grandi dans un pays sinistré, dont l’ambiance désespérante a été recréée par son confrère Takahata Isao dans son chef-d’œuvre, Le Tombeau des lucioles (1988). Sa fascination pour tout ce qui vole, Miyazaki l’a exprimée dans nombre de films : Kiki la petite sorcière chevauchait des balais (Kiki la petite sorcière, 1989) ; les enfants de Mon Voisin Totoro (1988) dansaient dans le ciel sur des peluches géantes ; des machines volantes bizarres abondaient dans Le Château dans le ciel(1986), où l’on voyait même décoller une île entière. Mais cette passion s’est toujours heurtée, chez Miyazaki, à un détail de poids : les avions de son enfance étaient des avions de chasse.
Pour évoquer ses rêves d’apesanteur, le cinéaste japonais avait besoin d’un héros irréprochable. Il a donc créé Jiro l’idéaliste, qui devient l’ingénieur le plus recherché de son pays. La période choisie lui permet de mettre en scène des faits historiques précis, comme le tremblement de terre de 1923, l’épidémie de tuberculose, la grande dépression, la montée du nazisme… Pour une fois, même s’il arrive qu’on bascule en plein onirisme, Miyazaki aborde un monde réaliste, loin des échappées imaginaires qui ont toujours rythmé ses récits fantastiques (Le Château dans le ciel ; Mon Voisin Totoro ; Le Voyage de Chihiro, 2001) ou écologistes (Nausicaä de la vallée du vent, 1984 ; Princesse Mononoké, 1997 ; Ponyo sur la falaise, 2008). Et, fait nouveau chez lui, on entre en plein romanesque avec l’histoire d’amour entre Jiro et Nahoko, une jeune fille rencontrée dans un train. Atteinte de tuberculose, elle va mourir au moment où Jiro arrive au sommet de sa carrière.
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Écrit par
- Bernard GÉNIN : journaliste de cinéma
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