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LE VOILE D'ISIS. ESSAI SUR L'HISTOIRE DE L'IDÉE DE NATURE (P. Hadot)

« Nature aime à se cacher ». Vers 500 avant notre ère, le penseur grec Héraclite déposa dans le temple d'Artémis, à Éphèse, un ouvrage probablement sans titre, et qui contenait cet aphorisme énigmatique. En fait, la sentence d'Héraclite signifie probablement que ce qui naît (« nature ») tend à disparaître (« se cacher »). Mais, dès l'Antiquité, elle a été interprétée comme une allusion aux secrets de la nature que l'homme cherche à décrypter. Quant à la déesse Artémis, elle était souvent assimilée à la déesse égyptienne Isis, et représentée sous les traits d'une femme, la poitrine couverte de nombreux seins, et la tête surmontée d'un diadème et d'un voile. Les seins de la déesse représentaient la nature nourricière, et le voile ses mystères cachés.

C'est donc la scène originelle qui résume l'histoire racontée dans Le Voile d'Isis. Essai sur l'histoire de l'idée de nature (Gallimard, Paris, 2004). Cette histoire est, comme le dit son auteur, « tressée » autour de trois « fils conducteurs », la formule d'Héraclite, la notion de secret de la nature et l'image de la nature voilée : comment la nature cache sous le « voile d'Isis » des secrets que les hommes tentent de dévoiler par la science et la poésie, et, souvent aussi, de garder cachés. C'est l'histoire d'une allégorie, et à travers elle, l'histoire des rapports que la pensée humaine entretient avec la nature.

Pierre Hadot, spécialiste de la philosophie antique connu surtout pour des travaux sur le néoplatonisme, s'est fait apprécier du grand public depuis une quinzaine d'années par La Citadelle intérieure (1991), un livre sur Marc Aurèle, et surtout Qu'est-ce que la philosophie antique ? (1995), remarquable introduction à l'essence même de la philosophie antique. Outre Le Voile d'Isis, il a publié en 2004 Wittgenstein et les limites du langage et Apprendre à philosopher dans l'Antiquité, en collaboration avec Ilsetraut Hadot. Dans tous ces livres, il développe l'idée que la philosophie, telle qu'elle a été inventée dans l'Antiquité, mais aussi telle qu'elle est pratiquée par l'un des philosophes par excellence de la modernité, Ludwig Wittgenstein, est d'abord un exercice spirituel, c'est-à-dire une « pratique, une ascèse et une transformation de soi », au moins autant, sinon plus, que la construction d'un système théorique. Avec cet essai, le sujet est apparemment très différent : il ne s'agit plus de la transformation du moi, mais de la nature, telle qu'elle est contemplée, déchiffrée, et, souvent, dominée par l'homme. Pourtant, l'une des attitudes fondamentales de l'homme par rapport à la nature, celle que Pierre Hadot appelle « orphique », va apparaître à son tour comme une forme d'exercice spirituel, d'« oubli de soi » dans le sentiment océanique de la nature, éprouvé de manière cosmique.

Face aux secrets de la nature, il y a deux attitudes fondamentales. Pierre Hadot appelle l'une « prométhéenne », par référence au fils du Titan, qui déroba le feu aux dieux pour améliorer la vie des hommes. L'autre attitude renvoie à Orphée, le poète mythique qui sut pénétrer les secrets de la nature par « la mélodie, le rythme et l'harmonie ».

La mécanique, c'est la mékhané des Grecs, c'est-à-dire la ruse. La technique ruse ainsi avec les mécanismes de la nature pour l'adapter aux besoins des hommes. Dans la tradition grecque, Prométhée dérobe le feu en dépit de Zeus, qui voudrait en garder jalousement le secret pour les dieux ; en revanche, dans la tradition chrétienne, l'attitude prométhéenne est encouragée par Dieu, qui veut rendre l'homme « maître et possesseur de la nature », suivant la formule de Descartes[...]

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