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LE VOYAGEUR DE LA TOUSSAINT, Georges Simenon Fiche de lecture

Une quête initiatique

Le Voyageur de la Toussaint est sans doute l'une des meilleures introductions à l'univers de Simenon. Il semble en condenser certaines des images les plus obsédantes – notamment celles du port, lieu par excellence de transits et de trafics, et donc exemplaire observatoire humain – et quelques-unes des figures dominantes. En premier lieu, Octave Mauvoisin, personnage principal du récit, même s'il n'existe qu'indirectement, à titre posthume, à travers les souvenirs et les points de vue de ceux qui l'ont connu. Archétype de ces self-made-men rustres, brutaux et cyniques qui émaillent les romans de Simenon, il se trouve peu à peu humanisé par ce qui est révélé de sa vie cachée : son pèlerinage quotidien dans son humble maison d'enfance : « Il allait là-bas, dans la bicoque où il était né et où il avait passé son enfance. Il s'asseyait dans le fauteuil de son père et il ne disait rien, il ne faisait rien, il partageait pendant une heure ou deux la vie d'un ménage pauvre. » Il y a du Citizen Kane chez ce potentat charentais ; lui aussi possède son mot secret qui n'est pas « Rosebud », mais Marie, le prénom de sa mère.

Quant à Gilles, l'homme sans attaches ni racines, n'est-il pas d'une certaine manière un avatar de Maigret ? Extérieur aux passions et aux intérêts des notables, il mène lui aussi une enquête avec la méthode même du commissaire, en se glissant dans l'âme d'autrui pour en percevoir les mécanismes intimes. Surtout, il partage avec Maigret un impératif moral commun : toujours tenter de comprendre, ne jamais juger.

Reste Colette. Jeune Mélisande furtive et effarouchée, pareille à « un oiseau qui frôle à peine la branche sur laquelle il se pose », elle donne au roman une note singulière de poésie. C'est elle, ainsi que le souvenir de ses parents, socialement ratés mais libres de leurs mouvements et de leurs pensées, qui donne à Gilles la force de s'enfuir d'un monde oppressant, où l'assassinat paraît presque justifié.

Roman des dernières années françaises de Simenon et sans doute de ses dernières années heureuses, Le Voyageur de la Toussaint conserve encore une part d'idéal humaniste et d'espoir. Une rédemption, une autre vie y sont toujours possibles. Dix ans plus tard, l'univers de Simenon aura basculé dans le désespoir le plus sombre. Il n'y aura plus d'issue à l'enfer des hommes.

— Philippe DULAC

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Écrit par

  • : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure

Classification

Média

Georges Simenon - crédits : Keystone Features/ Getty Images

Georges Simenon