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LEÇONS (I. McEwan) Fiche de lecture

Avant Leçons (traduit par F. Camus-Pichon, Gallimard, 2023), l’écrivain britannique Ian McEwan avait habitué les lecteurs de ses romans à un format resserré et à une trame strictement contrôlée, qu’il s’agisse de retracer les dilemmes moraux d’une juge pour enfants dans L’Intérêt de l’enfant (2015 ; The ChildrenAct, 2014), d’interroger les avancées en matière d’intelligence artificielle dans Une machine comme moi (2019 ; Machines Like Me, 2019), de livrer une version contemporaine de Hamlet par la voix d’un fœtus avec Dans une coque de noix (2017 ; Nutshell, 2016) ou encore dans Le Cafard (2020 ; The Cockroach, 2019), de proposer une variation satirique autour de La Métamorphose de Kafka pour mieux dénoncer l’absurdité du Brexit. Les confinements successifs de la période Covid-19 ont incité McEwan, né en 1948, à entreprendre un voyage rétrospectif dans les événements historiques qui ont jalonné les quelque soixante-dix années de son existence et à rédiger un roman-fleuve qui suit le parcours de son personnage, Roland Baines, de l’après-guerre à 2021. Si Leçons se concentre sur deux événements clé de la vie personnelle de cet « homme sans qualités » – l’emprise sexuelle de sa professeure de piano Miriam Cornell alors qu’il était adolescent et le départ soudain de son épouse Alissa pour embrasser une carrière littéraire –, il couvre également les crises mondiales majeures des sept dernières décennies. McEwan s’abstient toutefois d’offrir au lecteur le confort d’une structure stable et d’une téléologie rassurante, leur préférant une forme plus chaotique et tentaculaire.

La grande histoire et les petites

McEwan reconnaît volontiers l’inspiration autobiographique de Leçons : l’enfance en Libye auprès d’un père militaire autoritaire et d’une mère effacée, le pensionnat en Angleterre, la découverte à l’âge adulte d’un frère illégitime… Mais l’ouvrage n’en demeure pas moins fictionnel. Si l’écrivain opte pour un récit non linéaire qui opère des va-et-vient incessants entre passé et présent, il renoue également avec la grande tradition du roman réaliste et du Bildungsroman pour mieux en exhiber les failles. Le personnage principal semble un spectateur passif de son existence sans grandes aspérités, qui se déploie sur fond d’événements historiques dont il peine à percevoir le sens même s’ils influent sur sa vie privée. De la crise du canal de Suez en 1956, bientôt suivie du départ de Roland de la Libye pour rejoindre un internat en Angleterre, au drame de Tchernobyl en 1986 qui marque la fin brutale de son mariage et à la pandémie de Covid-19, en passant par la crise des missiles à Cuba en 1962, durant laquelle l’adolescent subit la relation sexuelle que lui impose sa professeure de piano, et la chute du mur de Berlin, le roman montre comment la grande histoire mondiale s’entremêle à la petite et en perturbe parfois le cours.

La narration remonte aussi le temps, à la rencontre dans l’Allemagne de l’après-guerre – également dépeinte dans L’Innocent (1990 ; The Innocent, 1990) et Les Chiens noirs (1994 ; Black Dogs, 1992) – entre les futurs beaux-parents de Roland, et relate l’amère désillusion de Jane, la mère d’Alissa, qui croyait avoir épousé un sympathisant héroïque du célèbre groupe de résistants allemands la Rose blanche, mais doit renoncer à ses idéaux et ses ambitions littéraires pour devenir mère au foyer. C’est sans doute pour ne pas reproduire ses erreurs qu’Alissa, à la manière de l’écrivaine Doris Lessing, quitte Roland et leur fils âgé de sept mois pour donner la priorité à sa vocation artistique. Roland doit alors gérer seul la vie de famille, en un renversement du scénario plus habituel de l’écrivain dévoué à son art et de l’épouse abandonnée.

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Écrit par

  • : habilitée à diriger des recherches en études anglophones, professeure des Universités à l'École normale supérieure de Lyon

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