LECTURE
Le temps des clercs
Le haut Moyen Âge
Cette situation se trouve rapidement bouleversée au haut Moyen Âge. L'écriture et la lecture devinrent alors l'apanage de plus en plus exclusif des clercs regroupés autour des bibliothèques des grandes églises et des couvents. Souvent peu lettrés, ces hommes lisaient alors plus que jamais à haute voix comme le père Leclercq l'a montré dans une étude classique, L'Amour des lettres et le désir de Dieu (1957) : « Au Moyen Âge comme dans l'Antiquité, on lit normalement non comme aujourd'hui principalement avec les yeux, mais avec ses lèvres, en écoutant les paroles qu'on prononce, en entendant, comme on dit, les voces paginarum (les voix des pages). On se livre alors à une véritable lecture acoustique : legere (lire) signifie en même temps audire (écouter). Sans doute, la lecture silencieuse n'est-elle par inconnue, elle est alors désignée par des expressions comme celles de saint Benoît : tacite legere ou legere sibi (lire en silence ou lire à soi-même). »
La lecture se faisait le plus souvent à haute voix, et des médecins prescrivaient à certains malades qui avaient besoin de mouvement de s'adonner à la lecture comme à un exercice physique violent. Et, par là même, la mémoire était non point visuelle, mais auditive et même musculaire, et la ruminatio, le mâchonnement répété de la parole divine, est souvent considérée par les auteurs spirituels comme une forme de nutrition de l'âme (J. Leclercq). Ceux-ci distinguaient la lecture à haute voix et le bruit de la parole de la méditation silencieuse qui suivait et permettait d'intérioriser le texte. Aussi les moines, qui devaient donner à cet exercice plusieurs heures par jour, n'avaient-ils pas à lire plus d'un à trois livres par an selon les règles et selon les époques. À quoi s'ajoutait cette forme de lecture qui consistait à recopier un texte.
On comprend donc que, en cette époque où la lecture lente était de règle, les manuscrits aient été copiés en écriture continue, sans aucune séparation entre les mots et presque sans ponctuation. Ce n'est qu'à l'époque carolingienne que les scribes, qui comprenaient de plus en plus difficilement le latin, réalisèrent une réforme en ce domaine : ils s'efforcèrent de séparer les syllabes sinon les mots, et restituèrent une ponctuation. Ainsi, de nouvelles formes de mise en texte destinées à faciliter la lecture semblent s'être d'abord développées afin de rendre plus facile l'appréhension d'œuvres composées en une langue sacrée mais dont l'accès devenait toujours plus difficile. Ces améliorations ne suffirent pas à modifier radicalement les conditions dans lesquelles cet exercice était pratiqué.
La lecture scolastique
Au cours du xie siècle, d'autres changements vinrent faciliter la lecture et la compréhension des textes, les lettres tendant notamment à se séparer tandis que des tirets étaient placés à la fin des lignes lorsqu'un mot s'y trouvait coupé. Mais c'est surtout à partir des xiie et xiiie siècles que les conditions de la culture écrite européenne se trouvèrent renouvelées. À la lectio monastique succède la lectioscolastique qui comporte l'examen raisonné du texte et la consultation d'ouvrages de référence. Du même coup, la présentation des textes évolue. Souvent de grand format, difficile à manier, le manuscrit de cette époque est le plus souvent copié sur deux colonnes relativement étroites, en une écriture serrée et hérissée d'abréviations, chaque ligne correspondant à peu près au champ de reconnaissance ou de fixation visuel. Désormais, de multiples indications – rubriques, marques de paragraphes, initiales et majuscules – permettent au lecteur de mieux s'orienter dans une page volontairement compacte mais dont le texte est méthodiquement articulé en des[...]
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Écrit par
- Henri-Jean MARTIN : professeur émérite à l'École nationale des chartes, directeur d'études à la IVe section de l'École pratique des hautes études
- Martine POULAIN : conservatrice générale des bibliothèques, directrice de la bibliothèque de l'Institut national d'histoire de l'art
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Média
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