LECTURE
La lecture à l'époque contemporaine
La ville et le journal
Le xixe siècle correspond à l'alphabétisation générale du monde occidental. Celle-ci ne s'opéra pourtant pas sans douleur. L'exemple de Jameray-Duval a montré en effet combien il est difficile de faire passer un homme du monde de l'oral au monde de l'écrit. Il en est de même a fortiori pour les groupes sociaux, et les récits du xixe siècle nous fournissent de multiples exemples d'instructions avortées et de maîtres enseignant les techniques de la lecture et de l'écriture à des enfants incapables de comprendre les réalités correspondant aux mots et aux phrases qu'on leur faisait déchiffrer. L'essor de l'alphabétisation reste dans ces conditions avant tout lié aux sollicitations des villes où la population afflue. Les formulaires et les circulaires de toutes sortes s'y multiplient, des affiches couvrent les murs, les journaux atteignent des tirages toujours plus considérables, les impératifs de la publicité provoquent de nouvelles formes de présentation des textes et des images. Des typographies brutales, l'utilisation systématique de la couleur pour les images rendent les messages imprimés toujours plus agressifs. Et la mise en page des journaux favorise, de 1850 à nos jours, une lecture de plus en plus sélective et rapide des nouvelles les plus récentes, avant tout choisies pour appâter les lecteurs. Dans le même temps, le nombre des presses utilisées pour imprimer des livres tend à décroître, bien que ceux-ci soient publiés en quantité exponentielle et que les éditeurs s'appliquent à développer toute une littérature à bas prix. Les nécessités d'une normalisation croissante et le désir de faciliter la lecture rapide d'ouvrages toujours plus nombreux conduisent enfin les auteurs et les typographes à multiplier les efforts pour rendre leur message plus accessible, ce qui se traduit par la recherche d'une plus grande clarté dans le plan de l'ouvrage que visualise la table des matières, et par des progrès significatifs dans la mise en page et l'illustration, en particulier dans le domaine des livres scolaires et dans celui des livres pour enfants. Ainsi s'imposent presque partout des formes de lecture extensive qui débouchent en fin de compte sur les théories modernes de la lecture rapide.
Vers une désacralisation de l'écrit ?
On pouvait estimer l'alphabétisation de la France – et, sans doute, celle de l'Occident – à peu près achevée à la veille de la Seconde Guerre mondiale : l'ensemble de la population était, sauf rares exceptions, capable de lire, de comprendre et aussi d'écrire au moins des textes simples, et une bonne partie de celle-ci pratiquait une orthographe convenable – cela grâce à un corps d'instituteurs remarquables. Mais il faut ajouter que le livre ne prenait en bien des milieux qu'un seul aspect, celui du livre de classe soigneusement conservé.
Or il semble bien que cette situation se soit aujourd'hui singulièrement dégradée : beaucoup d'enfants terminent le cycle de leurs études primaires sans être capables de lire couramment, et la plupart d'entre eux ne possèdent qu'un vocabulaire réduit. On s'interroge souvent sur l'origine de cette situation. Il semble que le développement des nouveaux moyens de communication audiovisuels ait imposé une sorte de primauté de l'image et du son à laquelle correspond une forme de désacralisation de l'écrit et des valeurs traditionnellement liées à l'orthographe. Mais on ne doit pas oublier que les textes écrits n'ont jamais autant proliféré, que le nombre des livres publiés chaque année ne cesse guère de croître et que les bibliothèques publiques sont prises d'assaut. Soit une situation d'autant plus difficile à comprendre qu'elle n'a paradoxalement jamais fait l'objet d'une analyse d'ensemble lucide et sérieuse.[...]
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Écrit par
- Henri-Jean MARTIN : professeur émérite à l'École nationale des chartes, directeur d'études à la IVe section de l'École pratique des hautes études
- Martine POULAIN : conservatrice générale des bibliothèques, directrice de la bibliothèque de l'Institut national d'histoire de l'art
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