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LECTURE

Les sociologies de la lecture

— Henri-Jean MARTIN

Le lecteur contemporain, auquel des sondages de plus en plus nombreux proposent le miroir permanent de ses propres pratiques, est-il pour autant bien connu ? Quelles ont été les origines de ce recours croissant aux enquêtes ? Statistiques et questionnaires éclairent-ils mieux les comportements actuels que les traces éparses laissées par nos ancêtres ? La lecture des sondages peut être faite de deux manières : pour les résultats qu'ils énoncent, pour les préoccupations dont ils sont les témoins et les valeurs dont ils sont le signe.

Les premiers sondages

Ce type d'enquête, se répand dans les années 1930 aux États-Unis. La crise a, selon plusieurs analyses, dirigé des millions d'Américains vers leurs bibliothèques et, par là même, mis l'accent sur nombre d'inégalités dans l'offre de lecture. Inégalités qui sont alors moins souvent pensées en termes sociaux qu'en termes géographiques. On met en avant les disparités qui existent entre États, entre régions, entre zones rurales et zones urbaines. Et l'on s'inquiète que le nombre d'inscrits en bibliothèques n'excède pas 20 p. 100 de la population, ou que les bibliothèques « réservées aux Noirs » dans les États du Sud n'accueillent que 10 p. 100 d'entre eux. Lorsque certains s'interrogent sur les origines socioprofessionnelles des lecteurs, comme le font très vite les chercheurs de Chicago, lieu foisonnant d'investigations sur la lecture, c'est afin de comprendre pourquoi la classe moyenne lit des livres de « meilleure qualité » que les nouveaux immigrants. La Seconde Guerre mondiale ayant elle aussi suscité une très forte croissance des pratiques de lecture, d'autres enquêtes, menées cette fois par les éditeurs, font se demander avec inquiétude si ce « boom », qui a favorisé l'achat de livres, va se poursuivre. Va-t-il falloir produire plus ou moins ? Les non-lecteurs forment-ils un marché potentiel ? Les genres appréciés, les succès sont-ils prévisibles ? Autant en emporte le vent va-t-il remplacer la Bible ? Les enquêtes très complètes suscitées alors par le Book Industry Committee cherchent à dresser un tableau exhaustif des habitudes des lectures qui naissent alors. En France, les seules sources disponibles ont longtemps été les statistiques éditoriales : comptabilisant annuellement nombre de titres et d'exemplaires produits, répartis très approximativement par disciplines ou estimés en termes de chiffres d'affaires, ces statistiques ne permettent qu'imparfaitement de cerner l'état de l'édition, et point du tout celui des lectures.

Si le Front populaire s'intéresse aux grandes enquêtes sociales, si l'I.F.O.P. (Institut français d'opinion publique) est créé en 1938 sur le modèle de Gallup (institut américain fondé en 1935), la lecture ne constitue pas alors pour autant un thème de sondage. Elle est éventuellement un indicateur d'opinion : les lecteurs de L'Aurore, de L'Humanité, de L'Époque, de Combat ou de Franc-tireur ont-ils un avis différent sur tel ou tel aspect de la reconstruction, se demandent les sondages de l'après guerre. En 1949, l'un des premiers sondages de l'I.F.O.P. sur « les fêtes » s'intéresse aux distractions préférées des Français le dimanche ou le soir. Le fait que la lecture vienne en tête des activités vespérales ne suscite alors aucun satisfecit particulier. La crise qui frappe l'édition française entre 1932 et 1937 avait pourtant vu naître quelques doutes, et avec eux les premiers questionnements touchant les publics acheteurs. Mais ce sont les groupes de presse qui, les premiers, se plaignent de ne pas connaître leur lectorat. La préoccupation initiale pour la lecture a donc bien, comme aux États-Unis, une origine professionnelle et marchande « l'homme[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'École nationale des chartes, directeur d'études à la IVe section de l'École pratique des hautes études
  • : conservatrice générale des bibliothèques, directrice de la bibliothèque de l'Institut national d'histoire de l'art

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Média

Don Quichotte, A. Schroedter - crédits : AKG-images

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