LEE KUAN YEW (1923-2015)
Homme politique singapourien, Lee Kuan Yew se distingue d’abord par son exceptionnelle longévité politique : membre du Parlement de 1955 à sa mort, il fait partie du gouvernement de 1959 à 2011 – il sera Premier ministre de 1959 à 1990. Ensuite, par l’exceptionnelle réussite de sa politique économique, qui transforme Singapour, pays du Tiers Monde, ravagé par le chômage et le délabrement urbain, en une des nations les plus prospères et les plus attractives, tant pour les capitaux que pour la main-d'œuvre : près d'un habitant sur trois est étranger. Le bilan politique est plus contrasté, le pays jouissant d'une paix intérieure fondée sur l'adhésion des citoyens, régulièrement vérifiée dans les urnes, mais au prix d'un étroit contrôle social, d'une domestication des médias, de pressions sur l'opposition et de l'interdiction de toute vie syndicale authentique.
Lee est né à Singapour le 16 septembre 1923, dans une famille chinoise aisée du groupe dialectal hakka et fortement intégrée à l'univers malais et colonial : il parle anglais et malais bien avant de maîtriser le chinois. Brillant élève, il intègre la prestigieuse Raffles Institution et obtient une bourse pour suivre des études supérieures en Grande-Bretagne, qui furent retardées par la Seconde Guerre mondiale. Comme toute sa génération, il demeure très marqué par l'occupation japonaise (1942-1945). Plus tard, il stigmatise la brutalité nippone, mais souligne l'efficacité de l'ordre qui règne alors, et veut dans les années 1980 prendre le Japon pour exemple.
Ses quatre années (1946-1950) passées à la London School of Economics et à l’université de Cambridge le persuadent de l’importance d’un enseignement élitaire et de haut niveau. Le vigoureux travaillisme d’alors, frotté à l’expérience du pouvoir, lui insuffle la vision d’un État protecteur, interventionniste, visant à l’égalité des chances, et cependant pragmatique dans ses méthodes. Enfin, il y rencontre ceux qui constitueront le noyau – multiethnique – de sa future équipe, et incidemment sa future épouse, juriste comme lui, et fondatrice avec lui d’un prospère cabinet d’avocats.
Rentré au pays, il entame très vite sa carrière politique, se faisant surtout connaître comme défenseur de plusieurs syndicats, ce qui le met en contact avec les communistes, alors puissants mais clandestins et violemment réprimés, ainsi qu’avec l’actif milieu des intellectuels Chineseeducated, qui sympathisent souvent avec le Parti communiste de Malaisie. Naît alors le projet d’une alliance stratégique qui lui permettrait d’avoir l’oreille des masses (les Chinois forment les trois quarts des Singapouriens) et de tirer parti du double processus d’émancipation et de démocratisation, lancé par les Britanniques en 1954. La création du Parti d’action du peuple (People’s Action Party, P.A.P.), cette même année, concrétise cette alliance : Lee et son groupe le dirigent, mais sa base est communisante. Seuls quelques candidats (dont Lee) sont présentés – et élus – aux législatives de 1955, mais, lors du scrutin de mai 1959, qui marque l’accession à l’autonomie interne complète, le parti triomphe. À trente-six ans, Lee Kuan Yew accède à la tête du gouvernement.
Son premier but est, selon ses mots, de descendre du dos du « tigre » communiste qui l’a mené au pouvoir, puis de le mettre en cage. C’est chose faite entre 1961 et 1963, au prix de centaines de mises en détention administrative illimitée, de la dissolution des syndicats radicaux, d’une grave scission du P.A.P. qui manque de faire tomber le gouvernement – et grâce au soutien du colonisateur britannique. Lee croit trouver un dérivatif en unissant Singapour à la nouvelle fédération de « Grande Malaisie » en septembre 1963, appelée Malaysia. Mais de graves émeutes entre Malais et Chinois mènent[...]
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Écrit par
- Jean-Louis MARGOLIN : maître de conférences en histoire, université d'Aix-Marseille
Classification
Média
Autres références
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MALAISIE
- Écrit par Philippe DEVILLERS , Encyclopædia Universalis , Nathalie FAU et Denys LOMBARD
- 17 261 mots
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...élargissement de la Fédération. Singapour avait en effet obtenu l'autonomie interne en 1959, et ses dirigeants (le People's Action Party [P.A.P.], de Lee Kuan-Yew, vainqueur des communistes) estimaient que l'île n'avait pas d'avenir si elle restait coupée de son hinterland. Ils proposèrent dès l'automne... -
SINGAPOUR
- Écrit par Rodolphe DE KONINCK et Encyclopædia Universalis
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...c'est l'autre parti de gauche qui remporte le pouvoir, haut la main. Le People's Action Party, mieux connu sous l'abréviation de P.A.P., est dirigé par Lee Kuan Yew, un homme politique d'une rare intelligence. Celui-ci doit cependant composer avec une situation toujours tendue sur le plan tant interne,...