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FRIEDLANDER LEE (1934- )

Un espace cubiste

La génération de Friedlander a connu une époque où la photographie était peu représentée au musée, où il n'y avait pas de galeries spécialisées, pas de marché, uniquement des petits formats en noir et blanc. La presse et quelques bourses permettaient de vivre. Aussi, le livre est devenu le moyen privilégié pour présenter son œuvre. « Comme l'appareil ne fait pas la différence entre un arbre et la forêt entière, dit Friedlander, je préfère le livre car il permet qu'on y revienne. » Le photographe a d'ailleurs été son propre éditeur pour quelques-uns de ses ouvrages.

New Orleans, Self Portrait, L. Friedlander - crédits : Frac-collection Aquitaine

New Orleans, Self Portrait, L. Friedlander

Parmi ces livres, Maria (1992), petit objet émouvant, entièrement consacré à sa femme, avec des images qui courent de 1955 à 1991, traduisant l'évolution de la société américaine et annonçant l'esthétique du quotidien qui envahira la photographie. Car Friedlander saisit des absences de sujets. Il est d'ailleurs difficile de décrire ses images. On devine la rue, des vitrines, motels, drive-in, voitures, paysages de l'Ouest, intérieurs, nus froids, autoportraits. Par le jeu du reflet, l'espace et les objets sont réduits en fragments, dont la rotation rappelle la manière d'un kaléidoscope. Ces détails errant dans une composition aux directions multiples donnent à la photographie toute son originalité. Friedlander accolle des plans dissonants plutôt qu'il ne cherche une harmonie dans la perspective. La netteté obtenue dans la profondeur bouscule la lecture comme dans un tableau cubiste. « Le monde, affirme-t-il, est aussi désordonné que je le montre. » Dans ses autoportraits, on ne voit parfois que l'ombre, les pieds, la tête ronde, une silhouette menaçante. Friedlander est un observateur virtuose des signes urbains, dressant un portrait de la culture vernaculaire occidentale. Il est à l'opposé de l'humanisme poétique et sentimental de l'école française des années 1950 (Doisneau, Boubat, Izis, Ronis). Et loin de la satire sociale qu'incarne William Klein. Il s'inscrit dans une tradition documentaire bien repérée, celle des Eugène Atget (1857-1927), Walker Evans (1903-1975) et Robert Frank (1924-2019). « Chaque fois que je vois Versailles, dit-il, je crois que c'est Atget qui en est l'architecte, tant ma vision du palais est imprégnée du maître français. » Mais c'est l'influence de Walker Evans qui est la plus déterminante : « Ce fut le choc, j'en ai tiré les conséquences. »

On doit aussi à Friedlander d'avoir popularisé l'œuvre de Ernest J. Bellocq (1873-1949), portraitiste de la Nouvelle-Orléans, qui réalisa de stupéfiantes images de prostituées dont il était le confident et le client. En juillet 1999, Friedlander était l'invité de marque des trentièmes Rencontres internationales de la photographie d'Arles. Il y présenta notamment The American Monument, série des années 1970 portant sur des centaines de statues et mémorials qui ornent le paysage américain et évoquent l'épopée nationale. Il s'agit sans doute de sa meilleure série, de son meilleur livre, c'est en tout cas celui qu'il préfère. C'est aussi son travail le plus politique, au sens où l'histoire (le monument) du pays s'est dissoute dans le spectacle consumériste – enseignes publicitaires, poteaux télégraphiques, maisons banalisées, badauds peu concernés. « Je donne de mon pays une image de rien et de tout. » En 2005, le MoMA de New York et, l'année suivante, le musée du Jeu de Paume à Paris ont présenté une rétrospective de son œuvre.

— Michel GUERRIN

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Canton, Ohio, L. Friedlander - crédits : Y. Bresson/ Musée d'art moderne, Saint-Etienne-Métropole

Canton, Ohio, L. Friedlander

New Orleans, Self Portrait, L. Friedlander - crédits : Frac-collection Aquitaine

New Orleans, Self Portrait, L. Friedlander

Autres références

  • PHOTOGRAPHIE (art) - Un art multiple

    • Écrit par et
    • 10 750 mots
    • 20 médias
    ...que seul révèle le hasard photographique. Démolissant l'ordonnance ordinaire des choses par une subversion systématique de tous les points de repère, l'Américain Lee Friedlander reconstitue à partir de ces débris une structure nouvelle et rigoureuse (The American Monument, 1977), mais aussi accessible...