LÉGITIMITÉ
Le terme de « légitimité » évoque le fondement du pouvoir et la justification de l'obéissance qui lui est due. Le problème a reçu les solutions les plus diverses, depuis une interprétation purement religieuse, c'est-à-dire métajuridique, propre aux théocraties, jusqu'à une traduction purement logique et rationnelle s'appuyant sur l'origine consensuelle du pouvoir, en passant par des considérations de faits extra-juridiques telles que son ancienneté et sa durée ininterrompue. Tout pouvoir revendique normalement un titre quelconque qui l'impose aux individus placés sous sa tutelle. Mais ce besoin de légitimation est plus ou moins vif selon les époques. Il peut même dans certains cas presque disparaître, les institutions en vigueur paraissant, du seul fait de leur existence, commander le respect des assujettis. Au contraire, dans certaines périodes troublées, le problème de la légitimité se pose d'une manière aiguë : l'autorité se trouvant discutée, il est nécessaire de lui chercher une raison d'être. En France, on a surtout parlé de la monarchie légitime à la suite de la Révolution. Au xxe siècle on s'est beaucoup interrogé sur le fondement du pouvoir. De telles préoccupations se sont fait jour dès l'entre-deux-guerres. Elles se sont encore accentuées après le conflit mondial : en France, le général de Gaulle ne cessa d'insister sur l'idée qu'il incarnait depuis 1940 le pouvoir légitime.
Cependant, il règne en la matière beaucoup d'obscurité. Les mots légitime et légitimité, entachés d'une certaine imprécision, sont susceptibles d'acceptions diverses. Il importe d'abord d'en fixer le sens.
La règle et son dépassement
En quoi légitime se distingue-t-il de légal ? Comment des pouvoirs légaux peuvent-ils être illégitimes ? Le dictionnaire de Littré, d'ordinaire si éclairant, ne nous est pas ici d'un grand secours. Ses définitions font tout de suite apparaître la difficulté d'établir un rapport rigoureux entre légitime et légal, entre légitimité et légalité. Le premier sens qu'il donne du mot légitime, c'est « qui a un caractère de loi ». Le premier sens qu'il donne du mot légitimité, c'est « qualité de ce qui est légitime », et il cite aussitôt comme exemple : « On attaque la légitimité de son mariage. » Il est clair que la légitimité d'un mariage, c'est sa légalité. Mais un flottement apparaît lorsque Littré mentionne l'autorité légitime, les pouvoirs légitimes. On pourrait penser qu'il s'agit de l'autorité légale, des pouvoirs légaux ; mais il introduit dans ses exemples une idée qui dépasse le droit positif. Il invoque entre autres une phrase de Chateaubriand dans sa brochure De Buonaparte et des Bourbons : « Les mots changent d'acception : un peuple qui combat pour ses souverains légitimes est un peuple rebelle. » Et Littré ajoute particulièrement : « Une dynastie légitime, dynastie qui règne en vertu d'un droit traditionnel, par opposition aux princes qui règnent par des coups d'État ou par la volonté nationale. » Aussi bien, le second sens qu'il indique du mot légitimité se réfère au « droit des princes que l'on appelle spécialement légitimes ».
La légitimité est assurément la conformité à une certaine règle. Mais quelle position occupe cette règle à l'égard de celles qui sont effectivement obéies ? Il semble qu'elle les déborde, puisqu'il y a des gouvernements qui se prétendent légitimes, et qui sont reconnus comme tels par leurs partisans, sans disposer cependant d'une puissance réelle sur un territoire quelconque : c'était le cas de Louis XVIII dans l'émigration. La légitimité se réclame alors d'une idée supérieure au droit établi. Mais, par ailleurs,[...]
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Écrit par
- Paul BASTID : membre de l'Institut, professeur honoraire à la faculté de droit et des sciences économiques de Paris, ancien ministre.
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