LÉGITIMITÉ
Interprétations divergentes
En France, le mot de gouvernement légitime évoque des souvenirs historiques et idéologiques parfaitement précis, qui procèdent de deux conceptions antithétiques et rivales. Il a été utilisé avec une grande rigueur affirmative au profit de la branche aînée des Bourbons. Il l'a été aussi au profit des gouvernements issus de la volonté populaire, manifestée normalement par le suffrage universel.
La légitimité monarchique
La légitimité de Louis XVIII s'appuyait sur deux idées fort distinctes : celle de droit divin et celle d'ancienneté historique. Le préambule de la Charte invoque la Providence qui a rappelé le roi dans ses États. Louis XVIII est roi par la grâce de Dieu, comme il l'avait déjà affirmé dans son exil. Mais, en même temps, il insiste longuement sur les titres de ses prédécesseurs. L'autorité de la dynastie se fonde donc aussi sur une longue possession. Cette dernière justification n'est certainement pas moins importante que l'autre. On peut même dire que, dans l'opinion monarchique, c'était elle qui primait ; car, si le droit divin faisait toujours partie de la théorie officielle, son prestige avait diminué dans les esprits. Déjà, en 1791, Jacques de Cazalès avait dit crûment à l'Assemblée constituante : « Je ne pense pas que le roi tienne sa couronne de Dieu et de son épée ; je n'admets point ces contes ridicules ; il la tient du vœu du peuple ; mais il y a huit cent ans que le peuple français a délégué à la famille royale son droit au trône... » Cette interprétation était la plus courante. Elle se rattachait d'ailleurs à des sources anciennes : dès le xviie siècle, Loyseau, dans son Traité des offices, l'avait mise en forme : « Y a longtemps que tous les roys de la terre, qui par concession volontaire des peuples, qui par usurpation ancienne (laquelle fait loy en matière de souverainetez qui n'en peuvent recevoir d'ailleurs) ont prescrit la propriété de la puissance souveraine et l'ont jointe à l'exercice d'icelle. »
La légitimité consacrée par le temps, considérée comme un facteur de stabilité et d'ordre, telle est en effet la grande idée qui prévaut sous la Restauration. En dehors d'elle, il n'y a que le chaos révolutionnaire. À cette idée, on ajoute encore le caractère proprement français de la monarchie bourbonienne, qui exprime l'âme du terroir, et on l'oppose à l'Empire qui n'est pas d'institution nationale. La dynastie légitime est autochtone, la dynastie napoléonienne est étrangère. Les royalistes répètent abondamment que Bonaparte n'est pas un Français de vieille souche. Si une dynastie étrangère a pu ainsi momentanément s'implanter sur le sol français, c'est, de toute évidence, parce que ce sol a été saccagé par la Révolution, parce que la tradition nationale a été abandonnée au profit d'une philosophie à prétentions universelles, d'une sorte de cosmopolitisme de rencontre. La pensée diffuse des royalistes de 1814-1815 annonce déjà les conceptions que Maurras a développées un siècle plus tard.
La légitimité démocratique
Dans le même temps ou presque, les libéraux fidèles à l'esprit de la Révolution, qui soutenaient le gouvernement de Louis XVIII, cherchaient un autre fondement à sa légitimité. Le fait que la Charte ait été acceptée tacitement par les Français en 1814 et solennellement jurée par le monarque en 1815, sous les acclamations des députés, transforme à leurs yeux le titre du roi. Il n'est plus seulement légitime comme représentant d'une ancienne race ; il n'est plus seulement national comme exprimant une tradition française. Il est légitime parce que investi d'une autorité régulièrement établie et confirmée. Il est national parce qu'il représente la[...]
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Écrit par
- Paul BASTID : membre de l'Institut, professeur honoraire à la faculté de droit et des sciences économiques de Paris, ancien ministre.
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