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LÉGITIMITÉ

Recherche d'un critère objectif

Il serait cependant nécessaire de dégager un critère objectif de la légitimité, car la tradition nationale, sur laquelle on se fonde le plus fréquemment, peut s'appuyer sur de multiples interprétations. Pour prendre un exemple récent, la tradition nationale pouvait être invoquée également – et l'a été du reste – en faveur du maintien de l'Algérie dans la souveraineté française et en faveur de l'indépendance algérienne. D'une manière générale, il paraît difficile de lier la légitimité d'un gouvernement à l'observation d'une politique déterminée : ce serait tomber dans l'arbitraire pur.

Il semble certain que l'extension démesurée donnée aux controverses sur la légitimité et l'illégitimité des gouvernements est une caractéristique fâcheuse du xxe siècle. Faute de pouvoir ignorer ce débat, peut-être convient-il de le circonscrire en raison des dangers qui en découlent, car l'illégitimité une fois admise conduit à l'exercice de la résistance par la force, c'est-à-dire à la guerre civile.

Un premier point paraît incontestable. Si l'effectivité d'un gouvernement, même accompagnée de sa régularité formelle, ne suffit pas dans toutes les circonstances pour établir sa légitimité, à tout le moins constitue-t-elle en faveur de cette légitimité une présomption. C'est ce que l'Église catholique a toujours professé. C'est ce que le bon sens le plus élémentaire impose. Aussi bien dans les périodes calmes ne songe-t-on guère à dissocier les deux idées : on se contente de la légalité « puérile et honnête ».

Quelles sont maintenant les circonstances qui peuvent rendre un gouvernement à coup sûr illégitime, soit initialement, soit plus tard ? Dans une société démocratique, un gouvernement peut être tenu pour illégitime si son avènement est entaché d'un vice fondamental. C'est l'illégitimité formelle. On ne saurait aller plus loin qu'avec la plus grande prudence.

La question a été posée autrefois sur le terrain de la liberté. Les gouvernements oppresseurs ont été considérés comme illégitimes. Saint Thomas pensait que c'était le tyran qui était séditieux et non ceux qui se révoltaient contre lui. Mais, si l'on admet le critère de l'adhésion populaire comme fondement de la légitimité formelle, le problème dans la plupart des cas ne se pose plus, car le suffrage universel est peu enclin à avaliser l'oppression s'il est librement consulté. Il ne disparaît pas tout à fait néanmoins dans des cas limites. Non seulement il est bien évident que la consultation peut être entachée de vices qui en détruisent la valeur, mais il faut tenir compte parfois du grégarisme aveugle des foules. Il n'est nullement sûr que les nombreux plébiscites massifs du régime hitlérien n'aient été déterminés que par la pression artificielle du pouvoir. L'autosuggestion des masses y a joué un très grand rôle.

Si désireux que l'on soit de ne pas s'écarter de la légitimité formelle, on est contraint éventuellement de faire appel à un autre critère pour justifier ou contester le respect dû au pouvoir. Ce critère ne pourra être que d'ordre moral. Un gouvernement qui violerait systématiquement les droits de la personne humaine, en faisant bon marché de la liberté et de la vie des citoyens (ou de certaines catégories d'entre eux, en vertu par exemple d'une doctrine raciste), sera justement tenu pour illégitime, quelles que soient les acclamations populaires dont il puisse bénéficier.

Mais on hésiterait beaucoup à admettre ici un critère politique. Un gouvernement, soutenu par l'opinion égarée, qui se comporte au mépris des traditions nationales et qui rabaisse le pays vis-à-vis de lui-même comme vis-à-vis de l'étranger, peut et doit[...]

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Écrit par

  • : membre de l'Institut, professeur honoraire à la faculté de droit et des sciences économiques de Paris, ancien ministre.

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Congrès de Vienne - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

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