LÉGITIMITÉ
La légitimité dans la société politique
Si le système de la légitimité a été utilisé de la manière la plus effective et parfois la plus dangereuse pour ou contre les gouvernements, il ne faut pas oublier que la même idée, sur le plan religieux ou sur le plan rationnel, a été appliquée aux fondements mêmes de la société politique. Cette idée est apparue surtout au Moyen Âge sous l'influence de l'Église. Dans l'Antiquité le problème de la légitimité ne se posait guère. On décrivait les institutions existantes. On mesurait à l'occasion leurs avantages et leurs inconvénients. Des philosophes les jugeaient sans doute d'un point de vue moral. Mais, même chez Platon et Aristote, il s'agissait plutôt de déterminer l'idéal d'un gouvernement que de remonter à la source et à la justification de l'autorité. C'est un fait très remarquable que le problème de la légitimité n'ait été vraiment abordé que par la théologie chrétienne et que celle-ci ait ouvert les voies à des spéculations purement séculières sur le même sujet. La théorie du droit divin comme base de la légitimité trouve son origine dans la parole de saint Paul : omnis potestas a Deo. Mais on sait que cette formule a revêtu deux interprétations différentes. Elle a servi à justifier l'autorité monarchique, dont les titulaires étaient censés être désignés par Dieu pour gouverner les hommes. Sous cette forme elle a été utilisée par le pouvoir civil, par les légistes de l'empereur et par ceux du roi de France. Au contraire, la doctrine de l'Église s'est montrée plus nuancée. Ce qui vient de Dieu, d'après saint Thomas, c'est le pouvoir pris en soi, le rapport abstrait de quelqu'un qui gouverne à quelqu'un qui est gouverné. Il n'en résulte pas que Dieu ait institué par un acte exprès de volonté telle famille ou telle forme de gouvernement. L'institution politique reste donc, dans ces limites, de droit humain, et saint Thomas la rapporte à la collectivité agissant en vue du bien commun : omnis potestas a Deo per populum. Il ne s'ensuit pas cependant que l'autorité ainsi fondée soit toujours légitime. Elle ne le sera pas si elle est injuste quant aux conditions soit de son avènement, soit de son exercice, car dans ce cas elle est contraire aux impératifs religieux.
La théorie de la légitimité sera ultérieurement laïcisée. On perdra de vue la causa remota explicative, c'est-à-dire Dieu. On se placera sur un plan purement rationnel ; mais la même préoccupation se fera jour de juger le droit établi en fonction de certaines normes transpositives. Elle s'étale comme le souci dominant de Rousseau dès la première page du Contrat social : « L'homme est né libre et partout il est dans les fers... Comment ce changement s'est-il fait ? Je l'ignore. Qu'est-ce qui peut le rendre légitime ? Je crois pouvoir répondre à cette question. » Ce qui peut le rendre légitime, c'est le contrat social, qui ne correspond pas pour Rousseau à une réalité historique, puisqu'il dit que les clauses n'en ont peut-être jamais été formellement énoncées. Mais à la lumière de cette idée on pèsera au trébuchet la valeur de la société politique. Le pacte social étant outrageusement violé, chacun rentre dans ses premiers droits et reprend sa liberté naturelle.
Soit que l'on considère tel ou tel régime, soit que l'on considère le principe même de l'autorité sociale, la question est toujours de savoir si le droit positif suffit à tout et commande par lui-même l'obéissance.
Le malheur, c'est que dans ce domaine les conceptions les plus hétérogènes s'affrontent et qu'il n'est pas plus possible de les départager d'une manière indiscutable qu'il ne l'est de départager des croyances. Cependant, moins en ce qui concerne la[...]
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Écrit par
- Paul BASTID : membre de l'Institut, professeur honoraire à la faculté de droit et des sciences économiques de Paris, ancien ministre.
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