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LEIRIS & CO (exposition)

L’exposition qui s’est tenue au Centre Pompidou-Metz entre le 3 avril et le 14 septembre 2015, est à plus d’un titre historique. Il s’agit de la première exposition de cette ampleur consacrée à l’auteur, poète, ethnographe, écrivain d’art, actif militant antiraciste et anticolonialiste. Si le Musée national d’art moderne du Centre Pompidou avait consacré en 1992 une passionnante rétrospective aux œuvres en donation de la collection Leiris-Kahnweiler, jamais encore on n’avait situé Michel Leiris dans son temps, son environnement artistique et culturel, avec une si riche documentation et dans une perspective aussi large.

Langues secrètes

Le parti-pris d’Agnès Angliviel de la Beaumelle, Marie-Laure Bernadac et Denis Hollier, commissaires de l’exposition avec l’appui de l’anthropologue Jean Jamin, est clair : ce sont la diversité de cette œuvre protéiforme et la richesse multiple d’une trajectoire du siècle envisagée chronologiquement (né en 1901, Leiris est mort en 1990) qui constituent le fil conducteur d’un accrochage aux supports disparates, depuis l’image figurant sur une boîte de cacao qui vient matérialiser l’expérience métaphysique de l’enfance, les exemplaires de revues dans lesquelles l’auteur contribue à déplacer le regard de la modernité, les échos musicaux qui ont guidé sa vie, jusqu’aux splendides toiles cubistes, surréalistes ou réalistes commentées au fil d’une longue carrière.

Michel Leiris apparaît ainsi comme le point de convergence d’une galaxie historique aux facettes dispersées, selon une figure chère à sa poésie, la rose des sables. Poète du merveilleux et de la fragile acrobatie tauromachique, autobiographe téméraire, il est aussi et concurremment un ethnographe des contacts de civilisations, de la remise en cause des préjugés raciaux, des langues secrètes dogon ou des rites théâtralisés de possession, un écrivain d’art singulièrement éclairé, un prosateur surréaliste d’une intensité sans pareille. L’un de ses premiers commentateurs, Édouard Glissant, souligne dès le début des années 1950 à quel point il est nécessaire de ne pas établir de distinction entre ces différents secteurs de l’activité créatrice et critique. C’est ce que montrent ces vitrines, ces films, ces bandes sonores, ces objets africains ou tirés du plus quotidien de la réalité occidentale, comme ces tableaux d’une richesse exceptionnelle, où se distingue une galerie de portraits de l’auteur, tourmenté et sensible.

C’est pourquoi le dispositif muséal s’ouvre ici sur une profusion d’objets, d’images et de textes de toute nature. Il souligne à l’intention du visiteur l’un des apports majeurs d’une génération d’écrivains, d’historiens d’art et de muséographes, depuis Georges Bataille, dont Leiris fut un proche, jusqu’à Carl Einstein ethnographe de l’art contemporain, et Georges-Henri Rivière fondateur d’un musée des arts et traditions populaires. En confrontant le haut et le bas, les strates culturelles, l’utilitaire et le sacré, le banal et le distingué, Leiris a contribué, bien au-delà de la revue Documents, à légitimer à la fois une idée nouvelle de la culture quotidienne et l’hypothèse d’un « musée de l’homme », où la revendication du subjectif promeut la plus objective communauté des significations humaines. La passion de la collecte et du tri a sans doute déterminé à la fois une vocation ethnographique attentive aux procédés du fétiche et de la ritualisation et une passion des spectacles où se rencontrent la tante Claire Friché, cantatrice belge dont on voit la photo dans le rôle de la Salomé de Richard Strauss, pourvoyeuse de riches fantasmes, et Raymond Roussel, l’auteur des Impressions d’Afrique, dont le père de Michel Leiris gérait pour une part la fortune. Ces vitrines présentent au lecteur averti comme à ceux qui découvrent l’œuvre un[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences à l'université de Pau et des pays de l'Adour, faculté de Bayonne

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