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MALET LÉO (1909-1996)

Anatomie d'une capitale

Nous sommes en 1953. Il y a quatre ans que Nestor Burma se tait. De plus, jusqu'alors, rien ne le distingue fondamentalement d'un Spade ou d'un Marlowe, ces durs à cuire « made in U.S.A. », si ce n'est le ton personnel de son créateur qui en fait une figure à part dans la littérature populaire française. Toutefois, il lui manque encore quelque chose, ce « petit rien » qui ferait de son père spirituel un auteur original. Ce qui manque, en somme, c'est l'idée. « Elle m'est venue, raconte Léo Malet, au pont de Bir-Hakeim. Devant ce paysage de Paris, je me suis dit que c'était quand même extraordinaire que personne n'ait jamais pensé à faire un film sur Paris, à part Feuillade. J'ai eu l'idée confuse de romans policiers qui se passeraient chacun dans un quartier ou un arrondissement... ». Cette fois, le déclic est au rendez-vous, le supplément d'âme existe. Léo Malet en parle à son ami Maurice Renault qui lui répond, emballé, que l'ensemble pourrait même s'intituler Les Nouveaux Mystères de Paris. « C'est lui, explique encore Léo Malet, qui a eu l'idée du titre. À partir de là, il s'est mis à faire le tour des éditeurs parisiens ». Plusieurs d'entre eux rejettent le projet, mais Robert Laffont, tout en n'y croyant guère, accepte. Revoilà donc Nestor Burma sur la brèche (aux côtés de sa dévouée secrétaire Hélène Chatelain et face à son adversaire, le commissaire Florimond Faroux) lancé aux trousses d'aventures dont le prétexte est le divertissement et l'objectif la radiographie urbaine d'un Paris que politiques et promoteurs voueront bientôt à la disparition.

De 1954 à 1959, quinze volumes vont naître de cette idée première. Tous se situent dans un arrondissement déterminé de la capitale, donnant définitivement au personnage ses lettres de noblesse et à son père spirituel cette touche d'originalité qui fait de lui un auteur à part entière. L'entreprise se clôt prématurément avec L'Envahissant Cadavre de la plaine Monceau (1959), même si Nestor Burma poursuit son existence en province (Nestor Burma revient au bercail, 1967). Cinq arrondissements (les VIIe, XIe, XVIIIe, XIXe et XXe) ne verront pas le jour dans ce cycle digne des meilleurs par les toiles de fond qu'il peint et les pièges qu'il tend. Sur les quinze volumes, si l'on peut préférer Brouillard au pont de Tolbiac (1956), M'as-tu vu en cadavre ? (1956), Boulevard... ossements (1957), Le Soleil naît derrière le Louvre (1954), Des kilomètres de linceuls (1955), ou regretter les mauvaises pensées qui plombent Les Eaux troubles de Javel (1957), tous méritent d'être lus, tant chacun d'eux s'emploie à ce qu'on y entre et qu'on s'y laisse transporter en offrant de surcroît à ses lecteurs d'aujourd'hui et de demain la connaissance d'un Paris disparu, comme à ses nostalgiques les retrouvailles avec ce Paris qu'ils ont tutoyé. Quinze romans noirs (mais qui ne sont pas seulement cela) d'un orfèvre en la matière qui n'ont rien à voir avec l'indigente série télévisée qui en a été tirée ou les indigestes films que le cinéma a produits. Trop tardivement reconnue, cette œuvre portée au pinacle dans les années 1975-1980, adaptée en bandes dessinées par Tardi, s'est vue quelque peu remise sous le boisseau suite aux prises de position à tout le moins répréhensibles de Léo Malet. Reste la réalité d'une entreprise rivée au temps comme son héros à sa pipe. Léo Malet s'est éteint le 3 mars 1996 à Châtillon-sous-Bagneux.

— Robert DELEUSE

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Léo Malet - crédits : D. Bellon/ AKG-images

Léo Malet

Autres références

  • POLICIER ROMAN

    • Écrit par et
    • 16 394 mots
    • 14 médias
    ...influencer beaucoup de romanciers français et, plus tard, les générations des années 1970-1980. Mais les vrais pères du « néo-polar » sont sans aucun doute Léo Malet (1909-1996) et Frédéric Dard (1921-2000). Ancien surréaliste, Malet, en 1941, avait commencé à écrire, sous pseudonymes américains, des récits...