SPITZER LEO (1887-1960)
Né à Vienne, cet Autrichien fut, comme Erich Auerbach, professeur à l'université de Marburg avant de s'exiler également à Istanbul puis aux États-Unis. Le livre qui permet le plus facile accès à son œuvre, en France, s'intitule Études de style (Gallimard, 1970) : c'est un recueil d'articles, pour la plupart traduits de l'anglais et de l'allemand, représentatifs de l'ensemble de ses recherches dans le domaine littéraire français. Leo Spitzer est considéré, à juste titre, comme un des fondateurs de la stylistique moderne. Mais quelle stylistique ?
Ce qu'il y a de plus profond chez Spitzer tient, d'une façon ou d'une autre, à la méthode du cercle herméneutique. Solidaire de la théorisation allemande du savoir qui, à travers Schleiermacher, Dilthey et Heidegger, construit la connaissance comme un acte, Spitzer développe une stylistique expérimentale et immanente. Son présupposé théorique est donc double : la littérarité d'une œuvre est entièrement et uniquement contenue dans les structures formelles, langagières, de cette œuvre ; la tâche du critique implique une activité de construction consubstantielle au déploiement essentiel de l'objet. La méthode consiste ainsi en une pratique. Face à un tout considéré comme un objet d'étude (en général le « corpus » d'un auteur), le critique s'imprègne sans relâche des textes jusqu'à ce qu'il soit frappé par une inflexion formelle qui émerge dans sa conscience réceptive. De près ou de loin, ce surgissement s'apparente à un écart par rapport à un usage commun du discours dans un contexte comparable. On établit ainsi un lien hypothétique entre ce fait et l'impression provisoire, esthético-idéologique, ressentie superficiellement à la lecture de l'œuvre. On recommence alors la lecture en repérant la totalité des détails langagiers correspondant à la première occurrence du déclic produit, et cette fois systématiquement. On procède ensuite à une contre-épreuve : on repart de l'appréhension impressive large et on vérifie qu'au fur et à mesure de sa génération au fil du texte, elle est bien attachée à l'apparition des traits formels qu'on a peu à peu réunis en faisceau. Si la cohérence est maintenue, la piste est bonne, et l'explication stylistique réalisée. Si c'est l'inverse qui se produit, c'est qu'on s'est trompé, soit dans la vérification de l'impression provisoirement globalisante à la réception, soit dans la pertinence du déclic factuel faussement significatif. On admettra sans peine, par exemple, que pour « l'effet de sourdine dans le style classique : Racine », l'analyse a suivi des voies particulièrement fécondes.
On sera reconnaissant à Leo Spitzer d'avoir à la fois abandonné la recherche de l'étymon spirituel, encore trop psychologiste, comme caractère générateur d'une œuvre, et de s'être livré à l'illustration, par le seul talent, d'un structuralisme exclusivement stylistique : c'est sa limite, et sa modernité.
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Écrit par
- Georges MOLINIÉ : agrégé de lettres, docteur de troisième cycle, docteur ès lettres, professeur des Universités, université de Paris-IV-Sorbonne, directeur de l'Institut de langue française
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