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FARGUE LÉON-PAUL (1876-1947)

Ensemble symphonique

L'œuvre de Fargue est faite de proses poétiques et de poèmes déchirants ou cocasses où la sensibilité, l'ironie et l'émotion se répondent, de tableaux parisiens, d'improvisations sur les motifs les plus simples, de suites inspirées par la longévité de ses souvenirs d'enfance ainsi que de ses accommodements avec le monde populaire ou la vie privée des objets. Ensemble symphonique où se révèlent un lyrisme neuf, une sagesse indulgente, un grand esprit, et rendu, développé, voire joué dans une langue souple et diaprée qui n'appartient qu'à lui. Une langue qui tient souvent de la berceuse et de l'incantation sans s'écarter d'un style limpide, qui fait corps avec le sujet traité, le paysage évoqué, le passé interrogé, et communique insensiblement au lecteur le sentiment de la présence chaleureuse du narrateur, venu en camarade, avec une âme à la disposition de tous.

Humain, trop humain, démagogue s'il l'eût fallu, Fargue savait mettre en phrases, comme on met en musique, la douceur des bonnes amitiés, « le fumet de l'actualité pour tous qui cuit à feu doux dans les rues », la face cachée des choses données, le bruissement des familles, la mélancolie et la tendresse éparses. Une fois, dans Vulturne, il s'élève jusqu'aux visions cosmiques, invente son monde futur, issu du monde flagrant, en voie d'éclatement sur « les dernières occasions de la distance lumineuse ». Comme ses pairs en ce domaine métaphysique et onirique, Rimbaud, Lautréamont, Mallarmé, Valéry, il se voit pensant, imaginant et créant au milieu d'un chaos, il affronte son double, « se mire et se voit ange ». Mais toujours il y a la fraîcheur qui vient du cœur et y retourne. Bientôt la confidence perce et Fargue, à l'écoute de ses émotions, finit par inviter le lecteur à pénétrer dans son passé et à regretter avec lui l'affection familiale dont il fut si douloureusement privé.

Ceux qui l'ont connu et écouté savent que Fargue fut aussi un personnage doué d'un pouvoir d'adaptation, pour ne pas dire d'un mimétisme, peu commun. Si le poète et l'homme, l'écrivain et le citoyen ne se distinguaient pas, le causeur prenait le ton de chaque milieu, triomphait sur toutes les scènes et savait enchaîner les conversations mondaines aux conversations de café. Il lui plaisait d'écrire solennellement aux percepteurs et fonctionnaires imbus de principes, mais familièrement aux puissants, comme Marot à François Ier et Diderot à Catherine ; d'être aussi intime avec les grandes dames qu'avec les boutiquières, d'admirer le même jour des reliures d'art, des ustensiles ou des insectes. Toujours, en tous lieux, ses propos relevaient de la plus fine et de la plus agréable littérature. Personne n'aurait su s'installer aussi confortablement dans l'ubiquité. Ce fut son démon. S'il eut parfois la tentation des honneurs, ce n'était, précisément, que pour ne rien laisser dans l'ombre et avoir partout ses entrées de poète, pour se trouver dans le rayonnement de ce qui se passe, enfin pour ne pas manquer le bonheur promis.

— André BEUCLER

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  • COMMERCE, revue littéraire

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    La revue Commerce, « Cahiers trimestriels publiés par les soins de Paul Valéry, Léon-Paul Fargue, Valery Larbaud », donna vingt-neuf livraisons, de 1924 à 1932. Cette revue littéraire naît à l'ombre de la princesse de Bassiano et de ses proches. Outre les trois « phares » susnommés, ...