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POLIAKOV LÉON (1910-1997)

Léon Poliakov occupe dans le paysage intellectuel français une place singulière. L'historien fut un pionnier, allant là où sa curiosité – qui était grande – le poussait, sans souci des honneurs ni de la carrière.

Il est né en 1910 à Saint-Pétersbourg, le surlendemain de la mort de Léon Tolstoï, dont il hérita le prénom et sous le signe duquel se déroula son éducation. Son attachement à sa Russie natale ne se démentit jamais. Il conserva, quoique arrivé à Paris à l'âge de dix ans, son accent slave, et en 1983, se sentant russe avant tout, il fit retour à l'histoire russe.

Son père, autodidacte, avait fait fortune à Saint-Pétersbourg en devenant éditeur, publiant notamment des journaux de gauche. En 1920, la famille parvient à quitter la Russie bolchevique pour Paris, via l'Italie. Après un détour par Berlin, elle s'installe définitivement en France en 1924. Léon Poliakov passe une licence en droit, et travaille dans l'entreprise de publicité fondée par son père. En 1934, Vladimir Poliakov crée un journal pour la nouvelle émigration judéo-allemande, le Pariser Tageblatt, qui rencontre un grand succès et est injustement accusé, en 1936, d'avoir été vendu à Goebbels. C'est à cette affaire que Poliakov consacre son premier livre.

Poliakov se définit lui-même comme un homme de triple culture : russe, allemande et française. Si, par sa famille, il est lié à la Palestine, qu'il visite en 1937, il n'a pas reçu une éducation juive. La guerre et la persécution le « judaïseront ». Mobilisé quoique encore étranger, fait prisonnier, il s'évade, regagne Paris, puis Marseille, où il rencontre le rabbin Chneersohn qui préside aux destinées de l'Association des Juifs pratiquants et l'engage comme secrétaire. Cette initiation est renforcée par sa rencontre et son amitié avec Jacob Gordin, qui lui donne des leçons de philosophie juive. C'est une « sorte de conversion intellectuelle au judaïsme », qui se fait parallèlement à une initiation à la philosophie grâce à Alexandre Kojève. L'Occupation fut pour Poliakov une période fondatrice qui orienta sa vie ultérieure. Il en fit avec humour un délicieux récit dans L'Auberge des musiciens. À la Libération, un autre Schneersohn, Isaac, fondateur à Grenoble, en avril 1943, du Centre de documentation juive contemporaine, lui procure du travail, comme secrétaire adjoint du C.D.J.C. d'abord, puis en tant que chef du service de recherche. Poliakov en crée le fonds documentaire. Remercié au début des années 1950, il vit alors de menus travaux, fournissant notamment à David Rousset les textes qui composent Le pitre ne rit pas et explorant pour lui le Code pénal soviétique. Il écrit son premier ouvrage d'histoire, un livre pionnier, Bréviaire de la haine, fondé essentiellement sur les archives du procès de Nuremberg. Il avait en effet rassemblé pour Edgar Faure, membre de l'accusation française, la documentation qui servit à présenter les crimes commis par les nazis dans les pays de l'ouest de l'Europe. Kojève présente l'ouvrage à Raymond Aron, qui le publie, préfacé par François Mauriac, en 1951 ; il est constamment réédité depuis.

Léon Poliakov est devenu un historien, tout en conservant son intérêt pour d'autres disciplines : la philosophie, la biologie, la psychanalyse, dont il fait une expérience qu'il juge sévèrement. C'est cet éclectisme, le goût des vastes projets, qui l'incite à se lancer dans une entreprise de très grande ampleur : L'Histoire de l'antisémitisme (quatre tomes entre 1955 et 1977 ; il dirige un cinquième tome en 1994). Il envisage l'histoire de l'Occident au prisme du débat plus ou moins pacifique avec les Juifs. L'antisémitisme est ainsi abordé comme une question pratiquement structurelle. Léon Poliakov[...]

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Écrit par

  • : directrice de recherche émérite au C.N.R.S., U.M.R. identités, relations internationales et civilisations de l'Europe, université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne

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