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SPILLIAERT LÉON (1881-1946)

Un peintre de la vie moderne

Dans Le Phare sur la digue (1908), Les Galeries royales d'Ostende (1909, Musées royaux des beaux-arts de Belgique, Ostende), La Verrière (1909), plus encore, peut-être, dans Le Dirigeable dans le hangar (1910, ibid.) ou Le Dirigeable quittant le hangar (1910, ibid.), Spilliaert se fait peintre de la vie moderne. Mais bien loin des divertissements d'extérieurs qui caractérisent son côté jardin, il peint au contraire la modernité côté cour, côté « hangar », et devient le peintre de ces gigantesque aérostats, fleurons de la nouvelle technique, qui ne tarderont pas à déverser la mort sur les villes, le peintre des soudards fusillant le peuple qui réclame la Sociale (Fusillade nationale, 1925).

On retiendra L'État indépendant du Congo pour son titre qui évoque une entreprise de Spilliaert qui tourna court. Incité, en 1903, par le fiancé d'une fille de son protecteur Edmond Deman à proposer ses services à l'État indépendant du Congo, l'artiste fut révoqué pour faiblesse de constitution. Ce qui fut une bien grande chance pour lui quand on sait que l'« indépendance » du Congo cachait un bagne soumis au régime des travaux forcés dans un domaine qui était la propriété privée du roi Léopold II, dont la devise « Pas d'élites, pas de problèmes » devait faire de nombreux émules.

Après la solennité un peu monumentale des constructions métaphysiques viendra le temps de la philosophie viagère des jardins et des forêts, du dimanche de la vie moderne. Léon Spilliaert est ainsi passé de la cueillette des fleurs vénéneuses du mal à la promenade des retraités entre les rangées des arbres du bien. « Chassez le mal de vos chaumières, et laissez entrer au foyer le manteau du bien. » Ces lignes tirées des Chants de Maldoror pourraient résumer le parcours de l'artiste, lui qui fut l'un des premiers lecteurs de Lautréamont bien avant les surréalistes. Son dessin « Oiseau de proie. Comte de Lautréamont. Les Chants de Maldoror » était peut-être destiné à orner la couverture du livre.

Anne Adriens-Pannier, auteur de l'étude la plus complète sur l'artiste, a renoncé à une présentation chronologique, comprenant sans doute ce qu'il y aurait de désastreux à conclure une monographie sur la période finale de Spilliaert, alors que son art avait perdu toute âme. On peut établir un parallèle avec Ensor et Giorgio De Chirico dont les dernières œuvres sont, chez le premier, la réitération affaiblie des premières œuvres, tandis que, chez le second, elles permettent un retour à une sagesse bien peu convaincante. On dirait que Spilliaert, ce nietzschéen, s'était fixé une tâche encore plus lourde que de supporter l'éternel retour du même : il se faisait un devoir d'acquiescer au sạmsāra de réincarnations toujours plus dégradées.

— Jean-François POIRIER

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<em>La Buveuse d’absinthe</em>, L. Spilliaert - crédits : steeve-x-art/ Alamy/ Hemis

La Buveuse d’absinthe, L. Spilliaert