WALRAS LÉON (1834-1910)
Théorie de l'échange et conception de l'équilibre général
Pour Walras, qui en a proposé plusieurs définitions, l'économie politique pure « est essentiellement la théorie de la détermination des prix sous un régime hypothétique de libre concurrence absolue ». Elle est, par là même, « la théorie de la richesse sociale qui rassemble toutes les choses, matérielles ou immatérielles, qui sont susceptibles d'avoir un prix parce qu'elles sont rares, c'est-à-dire à la fois utiles et limitées en quantité ». Ainsi, prenant en considération les relations de choses à choses, elle se présentait comme l'étude des relations dans un milieu idéal, étant entendu toutefois que l'économie « pure-hypothèse » de la fin du xixe siècle n'était pas l'économie « pure-nécessaire » des classiques. Dans ce schéma, les applications représentaient donc la réintroduction des données concrètes : l'économie appliquée s'intéressant aux relations d'hommes à choses, l'économie sociale aux relations d'individus à individus, l'une mettant l'accent sur les phénomènes de production, l'autre sur les phénomènes de répartition. À partir de cette délimitation qui sera chez Vilfredo Pareto associée à la méthode des approximations successives, Walras pouvait, en économie pure, supposer « un marché parfaitement organisé sous le rapport de la concurrence, comme, en mécanique pure, on suppose toujours des machines sans frottement » : ambition métaphoriquement illustrée de parvenir en sciences sociales à des énoncés d'une rigueur comparable à celle qui caractérise, en les distinguant, les propositions des sciences exactes. Mais, s'il est vrai que la théorie walrassienne des prix ne se comprend qu'en référence à l'analyse du rapport demande-prix, à la définition des prix de monopole, à la conception d'ensemble du système économique et surtout à la démarche méthodologique de Cournot, de la même manière que la théorie walrassienne de la valeur n'est intelligible dans sa genèse qu'en tenant compte de l'apport d'Auguste Walras, on peut s'interroger sur l'originalité de la forme mathématique de l'échange à laquelle s'identifie l'économie pure de Walras.
On se reportera à la huitième leçon (« Courbes d' utilité ou de besoin. Théorème de l'utilité maxima des marchandises ») des Éléments. Après avoir exposé que la courbe de demande d'une marchandise par un échangiste est fonction de son utilité, il y formule la loi de décroissance de l'utilité en fonction des quantités possédées : lorsque la quantité possédée augmente, les autres éléments restant inchangés, l'intensité du dernier besoin satisfait diminue. On reconnaît ici la théorie de l'utilité marginale qui fut pour la première fois exposée par Jevons, en 1871, dans sa Theory of Political Economy, mais aussi la « loi des plaisirs » énoncée en 1854 par Gossen, auquel Walras consacra un article en 1885 et dont il traduisit l'ouvrage essentiel Entwicklung der Gesetze des menschlichen Verkehrs. L'idée d'utilité marginale était donc combinée à la rareté qu'il alla jusqu'à définir comme l'intensité du dernier besoin satisfait, ce qui l'engagea dans une controverse avec F. Y. Edgeworth, lequel développa ses objections dans ses Mathematical Psychics(1881). Il apparaît alors que, solidaire du renversement de la conjoncture scientifique qui s'est opéré dans le domaine des sciences économiques vers 1870, l'ouvrage de Walras procède de ce courant de pensée qui, avec Jevons, Menger, Böhm-Bawerk, a visé à élaborer une nouvelle théorie psychologique de la valeur – théorie subjective fondée sur les désirs, les goûts des consommateurs, l'utilité marginale des choses[...]
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Écrit par
- Bernard VALADE
: professeur à l'université de Paris-V-Sorbonne, secrétaire général de
L'Année sociologique
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