LÉONARD DE VINCI (exposition)
La rétrospective qu’a consacrée le musée du Louvre à Léonard de Vinci (24 octobre 2019 – 24 février 2020) ne pouvait être qu’exceptionnelle. Le cinquième centenaire de la mort de l’artiste ; sa reconnaissance, sur tous les continents, comme un génie universel de l’art, en même temps mythe et symbole d’une période prodigieuse, la Renaissance italienne ; la présence d’un ensemble unique de ses peintures, certaines emblématiques, au cœur même des collections du Louvre ; enfin, ce trait étonnant de sa biographie, sa venue en France en 1517, à l’invitation de François Ier, qui le loge à la résidence royale de Cloux, près du château d’Amboise, séjour qui s’achève avec le décès de l’artiste, à Amboise, le 2 mai 1519. Autant d’éléments qui justifiaient l’effort immense du Louvre pour organiser une manifestation qui a su à la fois montrer une série impressionnante de peintures et un nombre considérable de dessins, tout en situant les œuvres dans leur chronologie et leur contexte, et dans un renouvellement des connaissances grâce aux solides recherches dont a bénéficié l’exposition, avec Vincent Delieuvin et Louis Frank pour commissaires.
Profondeur de la surface
La beauté des œuvres de Léonard le fait considérer à juste titre comme un génie. Mais un génie, même absolu, ne tombe pas du ciel, et la présence de l’admirable bronze d’Andrea del Verrocchio, L’Incrédulité de saint Thomas, créée pour l’église d’Or San Michele (Florence), rappelle le passage de Léonard dans l’atelier de cette personnalité majeure de la création en Toscane. Né en 1452, Léonard y entre autour de 1464-1465 et y passe des années essentielles, durant lesquelles il s’imprègne de la tradition plastique et graphique de la création artistique à Florence. Les études de draperies, peintes sur toile de lin, que réalise Léonard, merveilleux camaïeux principalement dans les nuances de gris et vivant de rehauts de blanc, montrent le parti qu’il sait tirer de son travail auprès de Verrocchio, son aptitude à faire un chef-d’œuvre d’une simple étude, et enfin qu’il est, fondamentalement, un peintre.
Oui, Léonard est un génie universel, et les milliers de pages recouvertes de notes d’une extrême densité et d’un nombre fabuleux de dessins confirment son intérêt constant pour la connaissance la plus concrète de tous les aspects de l’univers physique : la botanique, la géologie, la zoologie, l’architecture, les mathématiques, l’optique, l’astronomie, la géométrie, la mécanique des fluides, l’anatomie humaine et la physiologie… Rien n’échappe à sa curiosité passionnée et jamais superficielle. Mais ce génie est peintre, et sait exprimer en une œuvre en deux dimensions toute la variété du monde. Après les années florentines, c’est sans doute le séjour à Milan qui l’enrichit par l’ouverture à l’expression des phénomènes naturels de la lumière, du clair-obscur, de la perspective aérienne, dont nous voyons la maîtrise totale dans les tableaux du Louvre. Sa démarche est une quête de l’universel, mais elle ne le conduit pas à la dispersion : il sait ce qu’il cherche, il possède un sens aigu de la question qu’il porte, qui est une compréhension du monde des formes. Les premières études de draperies sont déjà la marque de ce que l’on pourrait appeler la profondeur de la surface. La forme et la matière immédiatement visibles irradient de la densité de la vie qu’elles recouvrent. La double démarche de Léonard est celle d’un homme pour lequel le regard, l’attention visuelle aux choses, et la spéculation, dans le plus haut sens de ce terme, se nourrissent l’une de l’autre. Il nous bouleverse parce qu’il a su penser le visible.
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Écrit par
- Christian HECK : professeur émérite d’histoire de l’art à l’université de Lille
Classification
Média