LÉONARD DE VINCI (1452-1519)
Le savoir
La « science » de Léonard a généralement déçu les philosophes qui mettent, comme il se doit, l'accent sur la systématisation des observations ; elle a ébloui ceux qui sont sensibles à la capacité d'appréhender méthodiquement les phénomènes et d'isoler leurs caractères. Il n'y a aucun doute, l'activité intellectuelle de Léonard est plus conforme à l'orientation aristotélicienne qui part de la saisie successive des objets particuliers qu'à l'orientation platonicienne attachée à l'unité première. Toutefois, l'insistance sur la valeur des mathématiques, paradigme absolu du savoir, et sur les infinite ragioni che non sono in esperienza équilibre l'empirisme radical, auquel, dans son souci du concret, se tient constamment Léonard. Cette attitude doit être comprise à partir d'une démarche complète que trop de commentateurs n'ont pas pris la peine de restituer. Léonard se propose d'élaborer une science du « visible », et il n'hésite pas à subordonner les conclusions de la filosofia ou science du monde physique, au rôle privilégié de la peinture, observatrice nécessaire, perché l'occhio meno s'inganna (C.U., fo 4). En fait, le paradoxe n'est qu'apparent : Léonard ne nie pas la relativité des sens, l'œil n'est pas ici l'œil vulgaire mais l'œil savant. L'activité de représentation, c'est-à-dire la peinture, est indispensable à l'exploration scientifique de la nature et la réalise, à partir du moment où elle assure une démarche méthodique. L'axiome auquel revient sans cesse Léonard dans l'introduction du Trattato est donc l'identité de la peinture et de la philosophie, de l'art et de la science.
En tenant compte de cet axiome, on peut rendre compte effectivement du lien interne des démarches de Léonard en évitant de tomber dans la célébration indistincte des découvertes miraculeuses du génie. Chaque savant ayant trouvé ou cru trouver la trace de découvertes considérables dans les écrits enfin révélés de Léonard après 1882, il devint habituel de le traiter en précurseur universel. Ainsi lit-on chez Péladan : « Les représentants de chaque branche du savoir humain sont venus témoigner de l'universalité de Léonard. L'astronome a salué le précurseur de Copernic (gravitation), de Kepler (scintillement des étoiles), de Matzlin (réflexion solaire), de Halley (vents alizés), de Galilée (mouvement). Le mathématicien a salué le précurseur de Cammandus et de Manolycus (centre de gravité de la pyramide). Le mécanicien a salué le successeur d'Archimède (théorie du levier), l'hydraulicien a salué le précurseur de Castelli (mouvements des eaux), le chimiste a honoré le précurseur de Lavoisier (combustion et respiration)... » Il est vrai qu'un grand nombre des découvertes de la science moderne sont anticipées dans les notes de Léonard, mais elles ne sont qu'exceptionnellement formulées dans les termes requis. Aussi importe-t-il de se former une idée du cadre général de ses recherches.
La conception générale de la nature est établie sur un double héritage : la vieille théorie des éléments et celle de l'analogie du microcosme humain et du macrocosme, les deux notions étant d'ailleurs liées. « Les Anciens ont appelé l'homme microcosme, et la formule est bien venue puisque l'homme est composé de terre, d'eau, d'air et de feu, et le corps de la Terre est analogue » (ms. A, fo 55, vo). Il y a dans la nature une vaste circulation de l'eau à partir de l'océan comparable à la diffusion du sang à partir du cœur, etc. Jusque dans la croissance des métaux, la nature se comporte comme un vivant gigantesque (Anatomie B, fo 28, vo). On sent ici poindre le « vitalisme » d'un Paracelse. Mais Léonard[...]
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Écrit par
- André CHASTEL : membre de l'Institut, professeur au Collège de France
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