CREMONINI LEONARDO (1925-2010)
Ce Bolognais né en 1925, fils d'un cheminot qui pratiquait la peinture par amour de l'art, n'a pas été baptisé Leonardo par hasard : il fut initié aux techniques picturales dès son enfance. Encouragé par toute sa famille, il lia très tôt le plaisir de peindre à la contemplation des horizons. Son père ayant été muté en Calabre en 1936, le souvenir de deux années passées près de la mer devait l'émerveiller d'autant plus qu'elles suivirent un séjour en colonie de vacances qu'il avait ressenti comme une peine de prison. Élève de Guglielmo Pizzirani à l'école des Beaux-Arts de Bologne, Cremonini y rencontra Giorgio Morandi, Virgilio Guidi et Luciano Minguzzi, qui y étaient également professeurs. Ces détails biographiques, révélés par Jacques Brosse dans le livre que les éditions Skira ont consacré à Cremonini en 1987, sont d'autant plus utiles à la compréhension de son œuvre qu'on peut encore en relever les traces dans bon nombre de ses tableaux : l'enfermement des enfants dans une demeure labyrinthique, l'ouverture au monde de la liberté et des plaisirs physiques.
Ayant obtenu la bourse Venturoli, Leonardo Cremonini continue ses études à l'Académie Brera de Milan de 1945 à 1950 et les achève par une thèse sur la peinture pompéienne. Au cours de ce séjour milanais, il noue de précieux contacts avec, notamment, Mario Sironi et Giò Ponti. En 1951, il arrive à Paris, où il n'a cessé de travailler depuis lors, tout en retournant chaque été dans l'île de Panarea, en face du Stromboli. À Ischia, il rencontre le poète W. H. Auden, premier de tous les poètes, philosophes et écrivains qui sont devenus ses amis et commentateurs : Pierre Emmanuel, Louis Althusser, Alberto Moravia, Umberto Eco, Italo Calvino, Michel Butor (Cremonini : 1958-1961, minéral, végétal, animal, 1996), Marc Le Bot, Gilbert Lascault ou encore Régis Debray (Cremonini, 1995). Ses quatre expositions successives à New York, à la galerie Catherine Viviano, de 1952 à 1962, devaient lui assurer plus vite que la plupart des peintres européens de sa génération une réputation internationale, que William Rubin, le conservateur du musée d'Art moderne de New York, fut l'un des premiers à lui accorder. Pourtant, Cremonini s'inscrit tout de suite contre la mode triomphante de l'art abstrait, et l'on doit lui reconnaître un rôle de pionnier dans la reconstruction de la peinture figurative d'après guerre : il peut être comparé à cet égard à Francis Bacon, auquel sa thématique du bonheur perdu et retrouvé l'oppose du tout au tout. Il devait d'ailleurs trouver, dès les années 1950, à Paris, des complices en Balthus, en Pavel Tchelitcheff, et bientôt en Francis Bacon, Matta, Victor Brauner et Giacometti. De 1983 à 1992, Cremonini est chef d'atelier de peinture à l'École des beaux-arts de Paris.
De ses premiers tableaux, où le corps humain, les animaux s'articulent les uns aux autres dans une architecture solennelle et tragique (Enfants qui jouent, 1955-1956 ; Le Carrousel, la nuit, 1956-1957 ; L'Homme et la bête, 1957-1958 ; L'Homme et le cheval, 1958-1959) à la définition de son premier paysage poétique obsessionnel (La Promenade au Belvédère, 1960-1961), on assiste au resurgissement de la figure par une sorte d'hallucination volontaire sur la matière picturale, les taches et les coulures à partir desquelles il élabore chacun de ses tableaux. Mais ce « paysage » s'est répercuté, de manière spéculaire, à l'intérieur des chambres où Cremonini a inventé une scénographie plastique de l'amour dont les enfants seront les figurants-voyeurs. Pour Cremonini, la terre est un corps de désir, et le corps même de la peinture s'accouple et s'identifie aux corps des amants. Le voyage en train, thème récurrent de ce peintre hanté par les évasions anarchiques de son[...]
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Écrit par
- Alain JOUFFROY : écrivain
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