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SCIASCIA LEONARDO (1921-1989)

Romans policiers et historiques au service de la critique politique

En 1962, avec Le Jour de la chouette (Il Giorno della civetta), Sciascia utilise pour la première fois la technique du roman policier, à propos d'un assassinat commis par la mafia. La question de savoir qui est le coupable fait entrevoir, en effet, que celui-ci n'est peut-être pas seul, de sorte que c'est, en fin de compte, tout un groupe, une organisation entière qui se trouve mise en cause par l'enquête. Il est bien clair que, pour Sciascia, ce type de roman ne répond pas seulement au goût, constant chez lui, de résoudre des énigmes, et que, bien plus que de découvrir quelqu'un, il s'agit pour lui, avant tout, de révéler quelque chose. Ainsi, dans Le Jour de la chouette, le phénomène typiquement sicilien de la mafia, qui est l'un des exemples les plus évidents et les plus révoltants de ce qu'il ne cesse de dénoncer, c'est-à-dire l'existence d'un groupe social qui s'arroge le droit d'imposer sa propre loi pour la défense arbitraire d'intérêts particuliers, et n'hésite pas devant le crime et l'assassinat.

Autrement dit, pour Sciascia, l'enquête policière est un moyen, particulièrement efficace, de faire naître la réflexion et la prise de conscience du caractère inacceptable d'un système politique et social.

À plusieurs reprises, il reprendra cette forme d'expression qui convient parfaitement à son propos. À chacun son dû (A ciascuno il suo, 1966), Le Contexte (Il Contesto, 1971), Todo modo (1974) appartiennent à cette même veine et élargissent peu à peu le discours jusqu'à une mise en question radicale de tout le système politique italien. Il n'est donc pas étonnant que certains de ces textes aient été utilisés comme point de départ pour des scénarios de films (c'est le cas, notamment, de Cadavres exquis, de Francesco Rosi).

En réalité, plus que la fiction de l'enquête policière, ce qui est essentiel, chez Sciascia, c'est la passion de l'enquête sur la réalité, le besoin anxieux de connaître une vérité qui peut être le mobile d'un crime ou peut, tout aussi bien, être constituée par les raisons de la disparition d'un personnage historique. C'est le thème de deux petits livres, l'un consacré à Raymond Roussel (1972), et l'autre, plus récent, inspiré à Sciascia par la mystérieuse disparition, en 1938, du jeune physicien italien Majorana. Suicide, enlèvement ou retraite volontaire d'un homme de science effrayé par l'intuition des risques mortels que présente pour l'humanité l'utilisation de la fission de l'atome ? C'est ce que tente de dénouer Sciascia.

Autrement dit, l'interrogation, l'enquête n'est pas pour lui une chose en soi ; elle est, au contraire, le moyen privilégié d'une réflexion à la fois politique et philosophique.

Il n'est pas surprenant que cette curiosité insatiable l'ait également conduit à écrire de véritables romans historiques. Le Conseil d'Égypte (Il Consiglio d'Egitto, 1963) raconte la vie d'un avocat palermitain du xviiie siècle, De Blasi, qui, compromis dans un complot républicain, fut condamné à mort ; mais cette biographie vient se greffer sur une sombre histoire de faux documents, mettant en cause les privilèges de la Cour. C'est une histoire cruelle, où l'Inquisition joue un rôle néfaste, que Sciascia a également mise en lumière dans Mort de l'inquisiteur (Morte dell'inquisitore, 1964). Mais les héros malheureux de ces deux livres sont pour lui l'incarnation d'une attitude emblématique, celle de deux hommes inflexibles qui sacrifient tout pour l'affirmation des valeurs de raison, contre les idées reçues, contre les privilèges abusifs, contre les croyances imposées, l'arbitraire et l'injustice.[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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Média

Leonardo Sciascia - crédits : Sophie Bassouls/ Sygma/ Getty Images

Leonardo Sciascia

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