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SACHER-MASOCH LEOPOLD VON (1836-1895)

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Une seule figure, sous des formes variées, occupe l' œuvre de Sacher-Masoch : la femme aux fourrures et au fouet, qui fait de l'homme son esclave. À cette figure est liée une jouissance qu'il nomme « suprasensuelle » : « Je trouve, écrit-il dans La Vénus à la fourrure, un attrait étrange à la douleur, et rien ne peut plus attiser ma passion que la tyrannie, la cruauté et surtout l'infidélité d'une belle femme. Or je ne puis m'imaginer sans fourrures cette femme, cet étrange idéal né d'une esthétique du laid, l'âme d'un Néron et le corps d'une Phryné. » Cet idéal, qui lui valut de donner son nom au masochisme, Sacher-Masoch a tenté de le réaliser dans sa vie, notamment dans son mariage avec Wanda. Mais la réalité a déçu les attentes de l'imagination, et l'œuvre, autant que de l'exigence du fantasme, témoigne de l'absence de l'idéal : « Si cette femme était dans ma vie, elle ne serait pas dans mes livres. » Pourtant, elle est dans l'histoire, elle hante « le grand livre de l'histoire du monde » qu'écrivent avec le sang des victimes les tyrans hommes et femmes : plus que la cruauté de la femme et la haine qui sépare les sexes, c'est la cruauté de l'histoire et la jouissance énigmatique des victimes que met en évidence l'humour de Sacher-Masoch.

Un suprasensuel

« Je vois que vous êtes vraiment plus qu'un romantique normal, vous ne restez pas en deçà de vos rêves, vous êtes l'homme que vous vous imaginez, serait-ce folie que de l'accomplir » (La Vénus à la fourrure).

Leopold von Sacher-Masoch est né à Lemberg en Galicie, province polonaise rattachée à l'Empire autrichien. Son père, Leopold Sacher, Autrichien, d'ascendance peut-être espagnole, était préfet de police de Lemberg, puis de Prague et, enfin, de Graz. Sa mère, Ukrainienne, était la fille du docteur Franz von Masoch, qui, craignant de voir s'éteindre son nom, fit prendre aux Sacher, en 1838, le nom de Sacher-Masoch. À sa naissance, le jeune Leopold fut confié à une nourrice ukrainienne, Handscha, dont les chants et les récits le marquèrent profondément : « Je ne t'ai jamais oubliée, comme je n'ai jamais oublié les contes que tu m'as dits, les airs que tu m'as chantés. » Encore enfant, à Lemberg en 1846, à Prague en 1848, il est le témoin des mouvements révolutionnaires qui agitent l'Empire autrichien. À Graz, il étudie le droit, puis l'histoire, publie en 1856 L'Insurrection de Gand sous l'empereur Charles Quint. Ses aventures féminines sont nombreuses. Une liaison de quatre ans avec Mme de Kottowitz s'achève par un échec : « Dorénavant, je ne croirai plus à la fidélité d'une femme. » Il transpose cette expérience dans La Femme séparée, qui connaît un rapide succès. Il écrit des contes, forme le projet d'un grand cycle de nouvelles, Le Legs de Caïn, qui devait représenter toute l'existence de l'homme et comprendre six thèmes : l'amour des sexes, la propriété, l'État, la guerre, le travail, la mort. Il ne cessera d'y travailler toute sa vie, sans parvenir à l'achever. En 1869, il rencontre Fanny Pistor, signe avec elle un contrat par lequel il s'engage « sur sa parole d'honneur [...] à être l'esclave de Mme de Pistor et à exécuter absolument tous ses désirs et ordres, et cela pendant six mois » ; il l'accompagne en Italie, déguisé en domestique. Rentré à Graz, il écrit La Vénus à la fourrure (1870), qu'il tente à nouveau de réaliser avec celle qui, en 1873, devient sa femme, Aurora Rümelin, laquelle désormais prend le nom de Wanda de Dunajew (héroïne du roman). Sacher-Masoch croit avoir trouvé son idéal : « Vous êtes mon destin, comme je suis le vôtre. » Il signe avec elle un contrat, qu'elle rédige à son instigation : « Mon esclave, les conditions auxquelles je vous accepte comme esclave et vous souffre à mes côtés sont les suivantes : Renonciation absolue à votre moi. Hors la mienne vous n'avez pas de volonté [...]. Votre honneur m'appartient, comme votre sang, votre esprit, votre puissance de travail. Je suis votre souveraine, maîtresse de votre vie et de votre mort. » Dès lors, il ne cesse, mais en vain, de chercher celui qu'il appelle « le Grec », ce tiers grâce auquel pourrait s'accomplir le « rêve érotique » de La Vénus à la fourrure, ainsi résumé : « La plus grande volupté, entre les bras d'une femme qui appelle l'homme avec lequel elle me trompe et me fait fouetter par lui » (Journal). En 1877-1878, une étrange aventure se noue entre le couple et celui qu'on a cru être Louis II de Bavière, mais qui a gardé son incognito et signait Anatole : « Que peut offrir ton cœur ? Amour pour amour ? Si ton désir n'était pas un mensonge, tu as trouvé ce que tu cherches. » À quoi Sacher-Masoch répond : « Tes lignes ont soulevé mon âme comme la tempête soulève la mer [...]. Ange ou démon, je t'appartiens, si tu le veux. » Mais encore une fois l'aventure s'achève dans le travesti et le malentendu. Peu à peu, le mariage de Sacher-Masoch se défait, Wanda ne parvient pas à tenir le rôle difficile qu'il lui assigne : de la souveraine, le mariage fait une mégère. En 1882, elle le quitte pour suivre le journaliste Armand, du Figaro. Après des épisodes pénibles, notamment lors de la mort d'un de leurs fils, le divorce est prononcé en 1886. La même année, Sacher-Masoch fait un voyage triomphal à Paris. Puis il épouse Hulda Meister, avec qui il termine sa vie à Lindheim.

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Outre Le Legs de Caïn, dont fait partie La Vénus à la fourrure, Sacher-Masoch a écrit des contes folkloriques et nationaux, tels les Contes juifs, deux romans noirs qui décrivent la vie de sectes mystiques : La Pêcheuse d'âmes et La Mère de Dieu, ainsi que des ouvrages de critique sociale : La République des ennemis des femmes et Les Idéaux de notre temps (traduit en français en 1871 sous le titre Les Prussiens d'aujourd'hui). C'est en 1886 que, dans sa Psychopathia sexualis, Krafft-Ebing tire de son nom le terme de « masochisme ».

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Écrit par

  • : philosophe, psychanalyste, ancien élève de l'École normale supérieure

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