LUGONES LEOPOLDO (1874-1938)
Lugones est considéré, avec Darío, comme l'un des plus grands poètes hispano-américains du début du xxe siècle, à l'âge d'or du mouvement moderniste (el modernismo). Le modernisme, tout en reconnaissant ses dettes envers les symbolistes français, est la première tentative sérieuse pour promouvoir une littérature originale qui échapperait enfin à l'imitation servile des modèles européens. Lugones adhère d'enthousiasme au mouvement, et sa poésie s'y exprime avec un bonheur certain. Mais cet homme aux énergies intellectuelles considérables ne se contente pas d'être poète d'une école, aussi prestigieuse soit-elle. Il répond à toutes les sollicitations de son temps : il pratique tout à la fois le journalisme, les sciences occultes et naturelles, la recherche historique, l'enseignement et, surtout, la politique. C'est à cette dernière activité qu'à partir de la quarantaine il va consacrer le plus clair de son temps, menant un combat douteux qui lui vaudra de solides inimitiés. La vie de Lugones est, d'après Borges, « l'histoire d'un homme solitaire, orgueilleux et courageux dont les livres éveillèrent l'admiration mais non point l'affection, et qui est mort, peut-être, sans avoir écrit le mot qui l'aurait exprimé ».
Un « poète socialiste »
Leopoldo Lugones naît à Villa María del Río Seco, petit village colonial de la province de Córdoba en Argentine, dans une vieille famille « créole ». Enfant prodige, lecteur vorace, il compose très tôt des poèmes qu'il déclame en public avec une grande éloquence. À dix-huit ans, il entre dans le journalisme, profession qu'il exercera jusqu'à sa mort, et il dirige un journal anticlérical et anarchisant El Pensamiento libre (La Libre Pensée). En 1895, il participe à des grèves d'étudiants, organise l'action directe contre le pouvoir établi et fonde un centre socialiste. Ses dons de poète et d'orateur commencent à être connus et, en 1896, ce « libéral rouge, subversif et incendiaire » s'installe à Buenos Aires : il entre au grand quotidien La Tribuna et fonde le journal socialiste La Montaña.
C'est à ce moment-là que se situe sa rencontre décisive avec Rubén Darío, pape de la nouvelle chapelle poétique, le modernisme. Lorsqu'en 1897 Lugones publie Las Montañas del oro (Les Montagnes de l'or), Darío salue l'événement et consacre ce jeune « poète socialiste » qui apparaîtra, un temps, comme le chef de file de l'avant-garde littéraire argentine. Pourtant, que ce soit dans ce recueil ou dans les suivants : Los Crepúsculos del jardín (1905, Les Crépuscules du jardin), Lunario sentimental (1909, Lunaire sentimental) et Odas seculares (1910, Les Odes séculaires), le « socialisme » n'apparaît guère. Comme tous les poètes modernistes, Lugones réagit contre le débile et insipide romantisme espagnol. La haute idée qu'il se fait de la poésie le conduit à donner la primauté absolue à la forme et à réaliser des prouesses techniques. Il taquine le vers plus souvent que la Muse. Un lexique fastueux et inouï, une métrique spectaculaire et sonore, une rime opulente font de son œuvre poétique une éblouissante machine quelque peu hiératique dont les lignes sont rarement déplacées par l'émotion.
Lugones a la passion des formes poétiques et des nobles vertus du langage. Il s'enthousiasme également dans des domaines aussi divers que l'érudition et la politique. Petit fonctionnaire des Postes, inspecteur de l'Instruction publique, chercheur scientifique à ses heures, journaliste, il trouve encore le temps d'imaginer des contes de science-fiction (Las Fuerzas extrañas, 1906, Les Forces étranges) et de se retremper aux sources de la littérature et de l'histoire de son pays. Se succèdent alors : El Imperio jesuítico[...]
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Écrit par
- Jean ANDREU : professeur agrégé d'espagnol, maître assistant à l'université de Toulouse-Le-Mirail
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