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LUGONES LEOPOLDO (1874-1938)

L'heure de l'épée

Entre 1906 et 1924, Lugones effectue plusieurs voyages en Europe. En 1913 et 1914, Til dirige à Paris la Revue sud-américaine. Lors de la Première Guerre mondiale, il prend parti pour les Alliés et publie Ma Belligérance (1917). En 1924, à la Société des Nations, il est reçu comme membre de la commission de Coopération intellectuelle. Bergson, qui préside cet organisme, accueille le même jour l'écrivain argentin et un savant allemand qui avait déjà fait beaucoup parler de lui : Albert Einstein. Il semblerait, d'après ces faits, que Lugones fût un adepte de la démocratie occidentale. Il n'en est rien.

En 1913, Lugones parlait déjà des masses populaires majoritaires comme d'une « force bestiale », et pour lui, le suffrage universel n'était qu'une tromperie, « un sarcasme byzantin ». Il manifeste ensuite son admiration pour Mussolini en qui il voit un purificateur, un nouveau Cromwell. Très vite, pour éviter les pernicieuses influences populistes et xénophiles, il prône le recours à un nationalisme militariste. Ses anciens amis socialistes s'en prennent alors violemment à ce « kolosse (sic) de la pensée » et dénoncent « la crise mentale d'un poète bureaucratique [...] à l'idéologie si barométrique et mouvante ». Lugones n'en a cure et, lors d'un voyage au Pérou, en 1924, il proclame que « vient de sonner l'heure de l'épée ». Il appelle de ses vœux le grand chef qui sauvera l'Argentine. Mis à part quelques poèmes et contes, et un roman décevant El Ángel de la sombra (1926, L'Ange de l'ombre), Lugones met ses talents d'écrivain et de journaliste au service d'un nationalisme autoritaire qu'il définit dans La Organización de la paz (1925), La Patria fuerte (1930, La Patrie forte), Política revolucionaria (1931), La Grande Argentina (1931), El Estado equitativo (1932, L'État équitable). Il devient naturellement le maître à penser des éléments putschistes de l'armée, et, en septembre 1930, il participe activement au coup d'État du général Uriburu qui met fin pour longtemps au régime de démocratie parlementaire en Argentine.

Lugones, qui ne nourrit aucune ambition en politique, est rapidement déçu par le nouveau gouvernement « révolutionnaire » qu'il a tant aidé à installer. Sans rien renier de ses idées, il prend peu à peu ses distances et répond de moins en moins aux attaques dont il est l'objet. Gagné peut-être par la lassitude, il s'enferme dans une amère et studieuse solitude. Il s'intéresse au Moyen Âge, revient à une poésie de veine populaire avec des œuvres qui seront publiées après sa mort sous le titre de Romances del Río Seco (1938), et entreprend un essai historique sur le général Roca, qui restera inachevé. Le 18 février 1938, pour des raisons mal connues, il s'empoisonne au cyanure dans une guinguette des bords du Río de la Plata. Cinq années plus tard, paradoxalement, le peuple argentin, cette « force bestiale », portait au pouvoir un homme fort, Juan D. Perón, qui avait fait ses premières armes politiques en Italie, au temps de Mussolini.

Lugones est le mal-aimé des lettres argentines. On admire en lui l'écrivain né, son œuvre considérable, ses connaissances, la conscience extrême qu'il apporte dans tout ce qu'il fait. Mais on le juge austère, rébarbatif, quand on ne fait pas intervenir les étonnants avatars politiques de l'homme public dans l'appréciation de son œuvre littéraire. C'est pourtant cet homme d'une honnêteté intransigeante qui disait : « Je revendique le droit humain à la faiblesse et à la contradiction [...]. Je suis un philosophe libre et j'apprécie avec sympathie les efforts généreux vers un idéal quel qu'il soit [...]. Entre mes sentiments et mes convictions, je choisis mes sentiments. Un ami compte pour [...]

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Écrit par

  • : professeur agrégé d'espagnol, maître assistant à l'université de Toulouse-Le-Mirail

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