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MARECHAL LEOPOLDO (1900-1970)

Leopoldo Marechal, longtemps marginalisé et ignoré en raison du péronisme qu'il avait professé pendant une vingtaine d'années, avant de se rallier tardivement au castrisme lors d'un voyage à Cuba en 1967, est un des écrivains majeurs de l'Argentine contemporaine. C'est d'abord en tant que poète qu'il s'est fait connaître dans les années 1920, en militant au sein de l'avant-garde et en publiant dans Martín Fierro et Proa, les revues phares du mouvement ultraïste. Si son premier recueil de poèmes, Los Aguiluchos (1922), est encore d'inspiration « hugolienne », selon ses propres mots, Días como flechas (1926) – publié l'année où Marechal fait son premier voyage en Europe – est marqué par une métaphorisation intensive et par la libération de la métrique qui soulignent l'influence de l'ultraïsme alors en vogue en Argentine. Odas para el Hombre y la Mujer (1929) marque un retour à un classicisme formel et thématique incontestable. À partir de la « crise spirituelle » de 1931, l'inspiration catholique occupera une place importante dans la production poétique de Marechal : Laberinto de amor (1936), Cinco poemas australes (1937), Sonetos a Sophia y otros poemas (1940).

Mais la notoriété et le scandale se produisent véritablement en 1948 avec la parution de son premier roman, Adán Buenosayres, longuement mûri et commencé à Paris, alors que l'auteur était en proie à une profonde « crise » spirituelle. On a souvent parlé de « démesure », voire d'« incohérence » à propos de ce livre. En fait, en s'inspirant d'Homère à l'instar de Joyce pour rapporter les aventures diurnes et nocturnes d'Adán dans la capitale argentine, Marechal s'est proposé d'écrire une épopée en prose, la chronique d'un voyage symbolique où le héros éponyme, après avoir subi une série d'épreuves, y compris une descente au Purgatoire, revient à son point de départ. Adán Buenosayres accomplit un double parcours, vers la Femme – telle qu'on la conçoit dans les romans de chevalerie – et vers Dieu, tout en se confrontant au « froid d'une réalité terre à terre ». Mais Marechal a pris soin d'assortir ce qu'il appelle « la substance poétique et métaphysique de [son] récit » de remarques critiques, voire parodiques, sur la société argentine, le problème du nationalisme et de « l'argentinité », la vie culturelle à Buenos Aires : le chapitre VII relate ainsi un « voyage vers l'obscure cité de Cacodelphie » qui permet de dresser un contre-portrait de la capitale argentine. Adán Buenosayres contient également un « Cahier aux couvertures bleues », d'inspiration autobiographique. Écrit, selon Cortázar, dans « la langue de Pétrarque et avec des tournures du Siècle d'or », ce « livre dans le livre » relate la chute de l'âme du narrateur-auteur dans le « vertige de l'abîme », et son penchant à se tromper lui-même en succombant à certains « leurres » poétiques et métaphysiques. Épris de totalité, Adán se refuse à agir sur la réalité. Il assume tragiquement sa condition de poète qui, à la fois, « crée en nommant » et se considère comme « un tricheur, un tisseur de fumées ». Mais comme l'a également remarqué Cortázar, le livre de Marechal est parcouru par un « humour transcendant », qui lui confère une allégresse festive, en contraste avec la vision d'un monde assimilé par un des personnages à « une infâme bamboche depuis qu'Adam et Eve ont fait à Dieu cette fameuse vacherie au Paradis ».

Dans l'isolement qui correspond pour Marechal à la période suivant la chute de Perón en 1955, l'œuvre de l'écrivain argentin se consolide et se diversifie. D'abord à travers des incursions réussies du côté du théâtre, en particulier avec [...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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