CARAX LEOS (1960- )
Avec cinq longs-métrages, Leos Carax est devenu un cinéaste mythique, correspondant à l'image de génie inflexible et inspiré – mais également dispendieux – qu'il aime entretenir. On l’a un temps assimilé à un mouvement des années 1980 baptisé « néo-baroque » (Jean-Jacques Beineix, Luc Besson, Marc Caro et Jean-Pierre Jeunet...), avec lequel il ne partage surtout qu’un désenchantement postmoderne, l’influence du vidéo-clip et le goût d’une sophistication extrême de l’image. Mais sa démarche profonde le conduit dans une direction radicalement opposée.
Sous le signe de Godard
Leos Carax est né à Suresnes (Hauts-de-Seine) le 21 novembre 1960. Il suit à Paris-III des cours de cinéma de Serge Daney, qui le pousse à écrire quelques articles dans les Cahiers du cinéma. Après deux courts-métrages, La Fille rêvée (1978) et Strangulation Blues (1980), son premier long-métrage, Boy Meets Girl (1984), ne cache pas ses sources et ses références : en vrac, Cocteau, le Laughton de La Nuit du chasseur, Keaton, Philippe Garrel, et surtout Godard... Le titre de Boy Meets Girl (« un garçon rencontre une fille... »), qui rend compte de l’unique sujet du film, décliné à travers plusieurs couples, renvoie tout naturellement au thème le plus traité de l’histoire du cinéma. À vingt-quatre ans, Carax pose la question de sa génération : que faire après Les Trois Mousquetaires, les romans de Céline, les films de Griffith, Vidor, Gance ? Et surtout après la « modernité » telle que l’incarna Godard ?
À aucun moment, cependant, les références accumulées ne se font pesantes : il y a du funambule dans la démarche (intellectuelle) de Carax, comme il y a de l'équilibriste dans celle (physique) de son alter ego, l'acteur Denis Lavant, qui joue dans les trois premiers longs-métrages le rôle d'un personnage prénommé Alex (prénom réel de Carax, né Alex Christophe Dupont). Comme Philippe Garrel, Carax filme le miracle de l'image naissante et vacillante, mais s'intéresse moins à la pellicule elle-même qu’au cadre, à l’équilibre sans cesse sur le point de se rompre, que maintient cependant un élan constant, celui des personnages, de la mise en scène, du désir profond du cinéaste. L’intrigue minimaliste de Boy Meets Girl est traitée sur le registre du risque constant et qui échappe, de ce fait, au statisme décoratif qui guettait les « néo-baroques ». Carax filme le mouvement qui porte les amoureux l'un vers l'autre, l'un par l'autre. L'émotion se conjugue avec la fulgurance du plan.
L'action de Mauvais Sang (1986) se situe à la fois en 1986, année du passage de la comète de Halley, et vers l'an 2000, alors que règne une maladie virale, le STPA, maladie de ceux qui font l'amour sans amour. Le film s’inscrit dans cette perspective cosmologique et apocalyptique. Largement aussi référentiel que le précédent, il renvoie autant aux images de la nouvelle vague (le Godard de Pierrot le Fou ou de Made in USA) qu'à la mythologie visuelle du film noir hollywoodien. Comme l'humanité de cette fin de siècle, le cinéma n’est-il pas lui-même rongé par son passé (prolifération des images-cellules) et ses défenses immunitaires affaiblies par un recyclage incessant d'images devenues indifférentes (sans amour) ? Le film développe une intrigue policière d’amour et de mort, mais il est surtout constitué d'éblouissements, d'instants arrachés à la pesanteur du réel comme au récit, et qui tendent à donner le sentiment d'une « première fois », d'une image vierge retrouvée.
Avant de devenir un film, Les Amants du Pont-Neuf défraie la chronique : trois ans de tournage (1988-1991) avec de longues interruptions, la reconstruction du Pont-Neuf aux environs de Montpellier, un coût qui triple le devis initial, pour une histoire ayant[...]
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Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma
Classification
Média
Autres références
-
ANNETTE (L. Carax)
- Écrit par Bernard GÉNIN
- 1 082 mots
- 1 média
Six longs-métrages en trente-cinq ans : Leos Carax est un cinéaste rare et exigeant, suivi par des cinéphiles impatients de découvrir les nouveaux terrains d’expériences explorés par ses films. Car le seul point commun entre Boy Meets Girl (1984), Mauvais sang (1986), Les Amants du Pont-Neuf...