CARAX LEOS (1960- )
« Le fils maudit »
Avec ou sans raison, Carax devient alors le prototype de l’artiste romantique, irresponsable (et maudit des producteurs). C’est le rôle qu’il se donne dans Pola X(1999) par le biais de Guillaume Depardieu, interprétant un riche fils de famille normande auteur d’un best-seller. Esthétiquement, le film relève du conte de fées, du roman gothique et d’une science-fiction de bazar, malgré l’origine du texte, un roman peu connu d’Herman Melville, Pierre ou les Ambiguïtés. Personnages opaques et schématiques, intrigue à la fois simpliste et lourdement symbolique, événements arbitraires, Pola X s'avère plus disparate que jamais, partagé entre de trop rares moments de fulgurance poétique, références à de grands maîtres – comme le Bresson du Diable probablement –, emphase de la mise en scène – qui hésite entre réalisme sordide et poésie –, respect du texte et lecture platement événementielle. L'interrogation sur l'artiste, visionnaire ou imposteur, débouche sur des allusions à l'imaginaire collectif moderne. Cependant, le schématisme de l’arrière-plan politique et social amène le spectateur à partager cette remarque de l'éditrice interprétée par Patachou : « Vous rêvez d'une œuvre de maturité, mais votre charme est d'être en pleine immaturité. » Une version télévisée de trois heures, portant le titre du roman, corrigera un peu tard l’appréciation.
Pola X confirme que le héros caraxien, comme celui des films de Cocteau, est l’artiste, le poète, et le cinéma (exclusivement de poésie) son propos unique. L’équilibriste Carax opère un fulgurant rétablissement avec Holy Motors. Présenté au festival de Cannes 2012, le film ne recueille aucune distinction. Il n’en frappe pas moins durablement les esprits, notamment grâce à sa poésie visionnaire et à la performance d’acteur de Denis Lavant. Au début du film, un jeune homme ensommeillé quitte son lit pour franchir une cloison qui ouvre sur une salle de cinéma... Même si seuls ses fans peuvent le reconnaître, le fait que le rôle de ce spectateur presque enfant soit tenu par Carax lui-même est essentiel... Des images expérimentales du précinéma d’Eadweard Muybridge accompagnent ce prologue. Devant le public se déroule un étrange film construit comme un serial : Oscar (Denis Lavant) passe ses journées dans une superbe limousine – où le monde extérieur n’est plus que virtuel, transmis par téléphone ou écrans – explicitement assimilée à une caméra. Oscar, fatigué, accomplit une série de missions pas toujours explicites pour lesquels il recrée à chaque fois un personnage, et dont le scénario renvoie à un pan de l’histoire du cinéma – parfois de celui de Carax tout court, comme ce M. Merde venu du court-métrage Merde (chapitre de Tokyo !, 2008)... Lorsque, à la fin du film, les limousines se retrouvent au garage, elles dialoguent sur leur avenir : « Les hommes ne veulent plus de machines visibles... Plus de moteurs... plus d’action... » Le cinéma n’est pas encore mort, mais se découvre mortel. Fonctionnaire ou martyr, Oscar-Carax se donne pour mission (perdue ?) de lui rendre vie et action, malgré la fatigue et le doute. D’où ce film qui ne peut plus que bégayer, qui alterne moments magiques – la « magie » du cinéma, celui des Lumière comme de Méliès – et trajets, assimilables à des « temps morts »... Laissons donc l’artiste l’exprimer lui-même : « Le cinéma, c’est un peu l’armée des ombres. C’est une forme de résistance comme l’autisme. »
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Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma
Classification
Média
Autres références
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ANNETTE (L. Carax)
- Écrit par Bernard GÉNIN
- 1 082 mots
- 1 média
Six longs-métrages en trente-cinq ans : Leos Carax est un cinéaste rare et exigeant, suivi par des cinéphiles impatients de découvrir les nouveaux terrains d’expériences explorés par ses films. Car le seul point commun entre Boy Meets Girl (1984), Mauvais sang (1986), Les Amants du Pont-Neuf...