JANÁCEK LEOS (1854-1928)
Jalons d'une œuvre
Cette esquisse de la pensée de Janáček permet d'aborder les grandes périodes de sa vie.
La période ethnographique (jusqu'en 1903)
L'intérêt de Janáček pour l'ethnographie débuta sous l'influence de Pavel Krizkovsky et d'Antonín Dvořák avec qui il s'était lié d'amitié. Les deux personnages avaient des points communs : leur slavisme, et aussi une certaine rusticité due à leur origine paysanne (« deux colosses silencieux », disait-on). En 1885, Janáček dédie à Dvořák Quatre Chœurs pour voix d'hommes et cette même année il se lie avec le directeur du lycée du vieux Brno, František Bartoš, qui recueillait des chants populaires. À la faveur de cette fréquentation, il pénètre plus systématiquement dans le monde de l'art populaire. Il parcourt la Moravie, du pays des Lachs et des Valaques, au nord, jusqu'aux régions méridionales. Il écoute, note, édite des recueils en collaboration avec Bartoš et devient rapidement « expert », ce qui, aux yeux des milieux officiels de Prague, estompa sa personnalité de compositeur. Ne se contentant pas de recueillir thèmes et chansons, il s'intéresse à l'analyse des rythmes, des tonalités, des formes, et étudie conjointement les conditions psychologiques et sociologiques de la création populaire. Ses études sont publiées à Brno, mais c'est seulement en 1955 que l'ensemble de ses travaux sera édité d'une manière ordonnée.
Poussant plus loin encore ses investigations, il se passionne non seulement pour la mélodie et la thématique populaires, mais pour le langage, étude patiente et originale, analysant l'intonation, la cadence, les inflexions à peine perceptibles de la parole, véritable transition, selon lui, entre le parler et le chant. Contrairement à ce que pourrait laisser supposer cette curiosité, il n'utilise jamais, dans ses compositions, la thématique du langage parlé, mais seulement l'observation des vibrations affectives qui lui permettent de silhouetter « psychologiquement » ses personnages. À entendre parler ses semblables, et sans s'intéresser particulièrement aux propos tenus, il était assuré, disait-il, de déchiffrer la pensée et le caractère de son interlocuteur. Janáček notait ces « mélodies du parler », du rire et des pleurs aussi, et encore le contexte psychologique qui les accompagnait. Il étendit ses observations aux chants multiples de la nature : chants d'oiseaux, bruits de mer, etc. Cette recherche systématique conduisit Janáček, lorsqu'il composait, à la pratique d'une thématique brève, nerveuse, constamment renouvelée, d'autant plus qu'il subissait l'auto-influence de son langage morave saccadé et économe. Ses partitions sont alors émaillées de notes groupées en petits paquets d'importance inégale. La vivacité, la vitalité, le réalisme et aussi la poésie de sa musique résident en grande partie dans ce continuel renouvellement auquel n'est pas étrangère la publication d'un ouvrage théorique sur La Disposition et l'enchaînement des accords (1897), complété en 1912-1913 par une Théorie intégrale de l'harmonie.
Les œuvres de cette époque sont surtout influencées par la thématique et la coloration populaires ; les Danses des Lachs (1889-1890) notamment, les deux tentatives d'opéra : Šárka (1888) et Début de roman (1891) ; une cantate Amarus (1897), et Jenůfa (1894-1903), dont l'échec confina pour treize ans le musicien dans des activités strictement locales alors qu'il escomptait une renommée universelle.
Nation et société (1903-1918)
La seconde période qui s'ouvre sur le refus de Jenůfa par le Théâtre national de Prague, contemporain de la mort de sa fille Olga à laquelle l'opéra est dédié, s'étend jusqu'au triomphe de l'œuvre sur la scène de ce même théâtre[...]
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Écrit par
- Guy ERISMANN : écrivain et musicologue, secrétaire général adjoint de l'Académie Charles-Cros
Classification
Média
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