LES ADIEUX À LA REINE (B. Jacquot)
Benoît Jacquot est né à Paris en 1947. Cinéphile passionné par Fritz Lang, Mizoguchi ou Jacques Tourneur, il travaille très tôt dans le cinéma, aussi bien comme stagiaire sur des films commerciaux, que comme ami et proche collaborateur de Marguerite Duras (Nathalie Granger, India Song), ou réalisateur de documentaires, notamment sur Jacques Lacan (1974). Ses premiers longs-métrages, L'Assassin musicien et Les Enfants du placard, se placent sous le signe de Bresson et de Cocteau. À partir des Ailes de la colombe (1980), d'après le roman de Henry James, Benoît Jacquot alterne films de prestige (L'École de la chair, Sade, Tosca, Adolphe...) et réalisations plus intimes, où il révèle de jeunes actrices : Judith Godrèche (La Désenchantée), Virginie Ledoyen (La Fille seule), Isild Le Besco (À tout de suite). On lui doit également de nombreux films pour la télévision.
Les Adieux à la reine (2012), son vingtième long-métrage de cinéma, est une des plus grandes réussites d'un réalisateur qui aime partir d'une matière romanesque (Dostoïevski, Mishima, Benjamin Constant). Dès qu'il découvre Les Adieux à la reine, roman de Chantal Thomas (prix Femina 2002), il souhaite en faire un film. Mais le budget et les difficultés de tournage à Versailles retardent le projet d'une dizaine d'années.
Film et roman racontent trois journées décisives de l'histoire de France, entre les 14 et 16 juillet 1789. On assiste, heure après heure, aux effets de l'annonce de la prise de la Bastille et des rumeurs qui se répandent « en ce pays-ci », comme se désigne elle-même la Cour, du plus modeste serviteur au noble le plus titré. À la stupéfaction et l'incompréhension succèdent l'inquiétude, puis la panique. Petit à petit l'étiquette se défait. Versailles devient le reflet de la décomposition d'un monde que plus personne ne comprend ni ne maîtrise.
Un « lieu clos pervers »
Dans leur adaptation, Benoît Jacquot et son scénariste Gilles Taurand ont renoncé à sa construction en flash-back du roman : Sidonie Laborde, la lectrice-adjointe de Marie-Antoinette, y racontait les événements depuis Vienne, vingt ans plus tard. Dès lors, Versailles devient le personnage du film. Ce n'est plus le petit théâtre de Si Versailles m'était conté de Sacha Guitry ni la bonbonnière adolescente et festive du Marie-Antoinette de Sofia Coppola. Les Adieux à la reine décrit le château non comme une forteresse protectrice du pouvoir, mais comme un « lieu clos pervers », pour reprendre les termes de Benoît Jacquot. Ce n'est pas vraiment une prison à la manière de la Bastille : chacun pourrait s'en échapper. En même temps, chacun est prisonnier de cette société du spectacle si bien décrite par Roberto Rossellini dans La Prise de pouvoir par Louis XIV. Tous sont protégés par la grâce du roi, mais liés par la stricte hiérarchie du système monarchique. Aucun plan des Adieux à la reine ne nous laisse le loisir d'admirer la façade du palais. Sidonie Laborde se réveille dans une sombre soupente, qu'elle partage avec rats, puces et punaises. C'est le Versailles des couloirs interminables, des souterrains, des escaliers en colimaçon, dépourvus de lumière. Un cloaque sans apparat, où s'entassent domestiques et courtisans. Jacquot ne tend pas simplement à un réalisme de surface (odeurs, manque d'hygiène), décrit par Saint-Simon. Versailles est ici un empilement de cellules alliant solitude et promiscuité. Il faut être sous l'œil du monarque. Mais cela vous met aussi sous le regard constant de l'autre : on s'épie, s'envie, se critique. On raconte ou on cancane.
Fort logiquement, c'est donc à travers le regard de Sidonie Laborde – premier très grand rôle de Léa Seydoux – que le spectateur assiste aux événements. Tenue à l'épaule derrière les courtisans de[...]
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Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma
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