LES ANNÉES FOLLES DE L'ETHNOGRAPHIE. TROCADÉRO 28-37 (ouvrage collectif) Fiche de lecture
Coordonné par André Delpuech, directeur du musée de l’Homme, Christine Laurière, spécialiste de l’histoire de l’anthropologie au CNRS, et Carine Peltier-Caroff, responsable de l’iconothèque du musée du quai Branly, Les Années folles de l’ethnographie. Trocadéro 28-37 (Publications scientifiques du MNHN, 2017) bouscule les datations concernant l’histoire des musées d’anthropologie en France. On a en effet coutume de dire qu’un musée d’anthropologie apparaît en France tous les soixante ans : le musée d’ethnographie du Trocadéro ouvre en 1878 au lendemain de la troisième Exposition universelle, le musée de l’Homme est inauguré en 1938 à l’époque du Front populaire et le musée du quai Branly est officiellement créé en 1996 par Jacques Chirac, alors président de la République. Cette chronologie s’en tient cependant aux discours officiels de fondation, sans considérer le travail matériel de réorganisation des collections qui constitue effectivement la vie des musées. En étudiant les archives conservées au musée du quai Branly, les coordinateurs de ce volume jettent un éclairage nouveau sur la période de transition entre le musée d’ethnographie du Trocadéro et le musée de l’Homme. Cette période d’effervescence intellectuelle et institutionnelle conduit en effet à réorganiser profondément les collections ethnographiques françaises, avant que celles-ci ne soient complétées en 1936 par les collections de paléontologie et d’anthropologie physique. Alors qu’on a souvent opposé le musée de l’Homme et le musée du quai Branly comme, respectivement, un musée de science et un musée d’art, on s’aperçoit que les innovations muséographiques introduites dans la période 1928-1936 ressemblent de façon étonnante à celles de la période 2006-2015, entre l’ouverture du musée du quai Branly et la réouverture du musée de l’Homme.
Montrer, classer, financer
La première partie de l’ouvrage est consacrée aux transformations économiques au sens large qui s’opèrent au musée d’ethnographie du Trocadéro. En 1928, Paul Rivet, médecin spécialiste des populations américaines, titulaire de la chaire d’anthropologie du Muséum national d’histoire naturelle, devient directeur du palais de la colline de Chaillot, et rattache institutionnellement les deux institutions. Il choisit comme vice-directeur Georges-Henri Rivière, ancien élève de l’École du Louvre et connaisseur des avant-gardes artistiques, le surréalisme notamment. Ce tandem qui réunit un homme d’appareil et un homme de salons est au centre du réseau qui va profondément renouveler le vieux musée du Trocadéro, décrit par de nombreux visiteurs (et notamment Pablo Picasso en 1907) comme poussiéreux. La nouvelle muséographie observée par Georges-Henri Rivière dans les musées du nord de l’Europe est testée par ce dernier lors de l’exposition Arts anciens de l’Amérique au musée des Arts décoratifs au printemps 1928 ; c’est son succès qui conduit Rivet à recruter Rivière au Trocadéro. Les objets ethnographiques y sont présentés séparément comme des œuvres d’art, une disposition qui sera conservée dans la « salle du Trésor » du Trocadéro, même si le contexte ethnographique des œuvres restera davantage au centre de l’exposition permanente.
Le rôle du mécénat dans la refondation du Trocadéro est souligné, dans un contexte où l’État investit très peu dans ses musées : plus de la moitié des ressources du Trocadéro proviennent de dons privés, aussi bien pour les acquisitions que pour les expositions ou les dépenses de personnel, une proportion beaucoup plus importante qu’au début du xxie siècle (alors que le mécénat culturel est encouragé par l’État depuis la loi Aillagon de 2003). L’économie d’un musée d’ethnographie, c’est aussi le travail quotidien d’inventaire, de mise en fiches, d’étiquetage, de dépoussiérage et[...]
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Écrit par
- Frédéric KECK : directeur de recherche CNRS, membre du Laboratoire d'anthropologie sociale
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