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LES ANTIMODERNES (A. Compagnon) Fiche de lecture

Depuis que l'on a proclamé la fin des avant-gardes, la modernité a été périodiquement l'objet de débats où se mêlent mises en accusation et plaidoyers teintés de nostalgie. Professeur de littérature à la Sorbonne et à Columbia University, Antoine Compagnon a déjà consacré plusieurs essais à cette question, notamment Les Cinq Paradoxes de la modernité (1990), où il s'en prenait aux doctrines qui voulaient « expliquer l'art », « lui assigner un but et penser son histoire en termes de progrès ». Avec Les Antimodernes. De Joseph de Maistre à Roland Barthes (Gallimard, 2005), il offre l'exemple réussi d'une histoire littéraire telle qu'on peut la penser en ce début du xxie siècle, c'est-à-dire aussi attentive aux textes qu'aux idées, soucieuse ici d'élaborer la généalogie d'un concept longtemps refoulé ou caricaturé par la modernité.

L'antimoderne reste, en effet, un impensé en littérature. Un point de vue à contre-courant de la doxa moderne, laquelle, face à l'histoire, a voué à l'oubli les écritures de droite. L'antimoderne inquiète, il est l'objet d'une suspicion. En lui semblent se concentrer le négatif, la contre-révolution, la réaction, la négation même des « idées avancées » : la démocratie en politique, la passion du nouveau en littérature, le positivisme dans les sciences. En même temps la posture fascine sans doute parce qu’elle fait toujours de l'antimoderne une figure solitaire et tragique –  Chateaubriand est à cet égard un archétype –, le héros malheureux de la « vie moderne » telle qu'elle se concrétise au long du xixe siècle. Mais, pour Antoine Compagnon, les antimodernes ne sont pas « tous les champions du statu quo, les conservateurs et réactionnaires de tout poil », ni « les atrabilaires et les déçus de leur temps », ni « les immobilistes et les ultracistes, les scrogneugneux et les grognons ». Ils sont plutôt, explique-t-il, « les modernes en délicatesse avec les temps modernes, le modernisme ou la modernité, ou les modernes qui le furent à contrecœur, modernes déchirés ou encore modernes intempestifs ». Ce sont des « modernes malgré eux » dont la figure parfaite est Charles Baudelaire qui voisine ici avec l'un de ses maîtres, Joseph de Maistre, mais aussi avec Chateaubriand, Benda, Renan ou Gracq.

Ce livre est né du travail d'historien de la critique littéraire mené par Antoine Compagnon (La Troisième République des Lettres, 1983), de sa lecture d'Albert Thibaudet et surtout du dernier Roland Barthes dont il fut l'élève. Barthes dont la célèbre phrase : « tout d'un coup, il m'est devenu indifférent de ne pas être moderne », est plus connue que celle où il explique qu'« être d'avant-garde, c'est savoir ce qui est mort ; être d'arrière-garde, c'est l'aimer encore ». Les Antimodernes est précisément l'histoire de cette tension qui gravite autour d'une thèse paradoxale : « Les antimodernes, ce sont des modernes en liberté ».

Et le livre soutient parfaitement le paradoxe. Antoine Compagnon y analyse les six constantes qui les caractérisent. Historiquement, l'idée de contre-révolution lui permet de préciser que « les antimodernes ne sont pas n'importe quels adversaires du moderne, mais bien les penseurs du moderne, ses théoriciens ». Le parcours de l'antimoderne commence dans « l'ivresse de la révolution » et s'achève dans le doute – posture à laquelle semble souscrire le lecteur implicite de cette étude, qui a traversé 1968 et l'ère du soupçon. Corrélativement, l'hostilité contre les philosophes et les penseurs du xviiie siècle fait de « l'anti-Lumières » le deuxième critère d'appartenance. Elle se traduit par le refus[...]

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