LES AVENTURES D'HUCKLEBERRY FINN, Mark Twain Fiche de lecture
Comme Huck qui toujours s'échappe des lieux clos où on tente de le « civiliser » pour finalement s'évanouir dans la lumière blanche du « territoire », comme le Mississippi qui roule, tourne et change de lit, emportant dépouilles, épaves et rivages, Huckleberry Finn, du romancier américain Samuel Langhorne Clemens, dit Mark Twain (1835-1910) est un livre insaisissable.
Un roman « sans début ni fin »
Pilote aguerri (La Vie sur le Mississippi, 1883), auteur averti (Les Aventures de Tom Sawyer, 1876), Mark Twain mit huit ans à écrire Les Aventures d'Huckleberry Finn (1884). Il s'interrompit même en cours de rédaction pour résoudre le paradoxe fondateur de son roman : pourquoi Huck, l'enfant fugueur souhaitant partir pour l'Ouest, et Jim, l'esclave en fuite rêvant de liberté dans le Nord, se laissent-ils finalement dériver vers les États esclavagistes du Sud ? La question se pose au milieu du récit, lorsque Huck et Jim s'approchent de Cairo, au confluent du Mississippi et de l'Ohio.
L'arrivée à Cairo motive la première partie du livre : pour fuir l'éducation que tentent de lui imposer la veuve Douglas et miss Watson, pour échapper aux coups et à la séquestration que lui inflige son père ivrogne, Huck met en scène son propre meurtre et se réfugie sur Jackson Island où il rencontre Jim, l'esclave en fuite de la veuve Douglas. Trouvant opportunément un radeau sur les berges, Huck et Jim quittent l'île dans l'espoir de rejoindre Cairo, où ils espèrent gagner leurs destinations respectives. Mais clore le voyage de l'enfant et de l'esclave sur le Mississippi, c'était interrompre le rêve d'harmonie qu'ils incarnaient et donner à leur dérive la finalité d'une quête. À la place de Cairo, un brouillard vient brouiller les repères ; ne pouvant remonter l'Ohio, Huck et Jim vont poursuivre leur voyage vers le Sud : « Je restai tranquille, l'oreille dressée, à me laisser flotter, à six ou sept kilomètres à l'heure. Mais on ne s'aperçoit pas qu'on avance ; on se sent comme un poids mort sur l'eau, et si l'on aperçoit une branche au passage qui file à côté de vous, on ne se dit pas : comme je vais vite ! Mais : comme cette branche passe vite ! Et on retient sa respiration. Si vous croyez que ça n'est pas sinistre d'être seul dans la brume comme ça, eh bien, essayez et vous verrez ce que c'est. »
Le brouillard sur le Mississippi illustre en fait la désorientation qui gouverne toute l'écriture du roman. Constitué d'une série d'épisodes interrompus et de nouveaux départs, Huckleberry Finn n'a « ni début, ni fin » (T. S. Eliot) : parti du Pike County, dans le Missouri, pour arriver six mois plus tard à Pikesville, dans l'Arkansas, où il retrouve miss Watson et son ami Tom Sawyer, le personnage-narrateur déclare qu'il « est déjà passé par là » et réitère sa fugue initiale à la fin du roman. Le roman picaresque s'annule en se bouclant. Car en annihilant la progression du récit, en esquivant la question de l'évolution du personnage, Twain entendait préserver la période de métamorphose, gorgée de rêves et de craintes, qu'il considérait comme idyllique pour l'enfant et pour l'Amérique.
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Écrit par
- Nathalie COCHOY : maître de conférences
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Média
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