LES AVENTURES DE TÉLÉMAQUE, F. de Fénelon Fiche de lecture
Apprendre à gouverner
La narration fabuleuse de Télémaque se veut d'abord un ouvrage didactique, destiné à un futur souverain, afin qu'il s'intéresse à la politique, à la religion, à la vertu, et qu'il pratique, plus tard, un « bon » gouvernement. Mais très vite, et avant même sa publication, ce texte devient à la fois un traité de politique contestant le pouvoir de Louis XIV, et un ouvrage pédagogique à l'usage des jeunes gens et de leur maîtres. Du xviiie siècle jusqu'au milieu du xxe, on étudiera le Télémaque dans les écoles pour accéder à la morale et à la vertu, à la culture antique et aux arts, tout en lisant une « aventure ». L'idée est ainsi de donner toute la priorité à la formation morale et spirituelle, de faire de l'élève (royal) un honnête homme, en secondant cette éducation par l'étude des textes anciens de la Grèce vertueuse et de la romanité virile. Il s'agit de réconcilier l'honnêteté et la vertu : l'honnête homme doit être libre, se laisser guider par ce qu'il juge bon, garder raison et distance. Il faut donc aider l'enfant, doucement, par petites touches, à s'adoucir, à jouer, à aimer et à être aimé. Le travail se fait à travers une évocation de la vertu et de l'esthétique des Anciens, par un jeu de rappels musicaux (rhapsodie), de fugue, d'ornementation, de reprises (morceaux détachés) et d'extensions (amplification), joint à une héroïsation de l'adolescence dans le monde mythique des héros antiques.
Si l'idéal est celui d'une Grèce de tableaux mythologiques et pastoraux, il est aussi politique et religieux. Futur roi, Télémaque doit comprendre qu'il est possible de réformer son royaume. Âme sensible, il doit aussi savoir qu'il est nécessaire de s'abandonner à Dieu.
Sur le plan politique, Fénelon dénonce implicitement le gouvernement de Louis XIV, comme celui de la violence, de la dureté et de la mauvaise foi. La France est en danger, et les victoires militaires ne pourront durer. Le roi agit comme s'il était Dieu sur terre et, en réalité, ne fait rien pour connaître Dieu. La France est entraînée hors de sa voie naturelle, dès lors que les intérêts particuliers passent avant ceux du pays et des sujets. Il est donc temps de convaincre le futur souverain que les rois ont le devoir d'éviter cette jalousie du pouvoir qui mène au despotisme, de fuir les guerres qui ne sont pas absolument nécessaires et de travailler uniquement à assurer le bonheur des peuples par l'humanité et par la paix. Le roi doit être comme le David de la Bible, un berger raisonnable qui sait tenir compte de la Providence et de la Grâce. Le souverain, guidé par la divinité, saura se choisir, puisqu'il n'aura plus, comme les bons rois des Champs Élysées, de passion, de désir, mais sera dans une béatitude et dans un bonheur éternel.
On peut ainsi dire que la politique de Fénelon suppose une morale fondée sur un christianisme authentique. L'homme privé a pour premier désir l'amour, car Dieu lui-même est amour et miséricorde. Il entrevoit la divinité, comme il a le désir et l'intuition de la vertu. L'homme public, lorsqu'il devient souverain et s'apprête à gouverner, doit se souvenir de cette inscription préalable, en lui, de la vertu et de l'amour divin. En mettant l'amour au rang des principes nécessaires, il se donne un but intime et public. C'est ensuite que les arguments raisonnables suivront.
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Écrit par
- Christian BIET : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre
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