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LES BONNES, Jean Genet Fiche de lecture

L'argument des Bonnes (1947, nouvelle version en 1958), fut fourni à Jean Genet (1910-1986) par un fait divers survenu en 1933 : le crime des sœurs Papin, au Mans. De l'événement originel, la pièce a conservé une trame policière indécise, occupant l'arrière-plan du drame. On se gardera d'autre part, indique l'auteur dans un texte datant de 1963, « Comment jouer Les Bonnes », d'y voir l'illustration d'un propos social ou d'une revendication de classe. Ce bref manifeste revendique un théâtre qui tournerait le dos à toute tentation naturaliste. Ce que le poète dramatique aspire à voir apparaître sur la scène, c'est son être même, diffracté en figures multiples, révélé dans son moi profond, et paradoxalement mis à nu par un jeu de gestes et d'accoutrements.

Jean Genet - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis Historical/ Getty Images

Jean Genet

<em>Les Bonnes </em>de J. Genet, mise en scène de Luc Bondy - crédits : Lieberenz/ ullstein bild/ Getty Images

Les Bonnes de J. Genet, mise en scène de Luc Bondy

Une tragique identification

La pièce s'ouvre sur un dialogue entre une domestique et sa maîtresse, échange traduisant un rapport de domination paré d'un théâtralisme outrancier (Solange s'accroupit sur le tapis et, crachant dessus, cire des escarpins vernis) : claire. « Je vous ai dit, Claire, d'éviter les crachats. Qu'ils dorment en vous, ma fille, qu'ils y croupissent. Ah ! ah ! vous êtes hideuse, ma belle. Penchez-vous davantage et vous regardez dans mes souliers. (Elle tend son pied que Solange examine.) Pensez-vous qu'il me soit agréable de me savoir le pied enveloppé par les voiles de votre salive ? Par la brume de vos marécages ? solange (à genoux et très humble). « Je désire que Madame soit belle. »

Mais le dialogue se fissure à mesure qu'il progresse, et révèle la comédie que se jouent les deux domestiques : Claire a endossé le rôle de Madame, tandis que sa sœur Solange incarne Claire. Le jeu prend valeur d'exorcisme, dès lors qu'il s'organise comme la mise en scène du meurtre de Madame par sa servante, avant d'être interrompu brutalement au moment d'atteindre son paroxysme. (Elle semble sur le point d'étrangler Claire. Soudain un réveil matin sonne. Solange s'arrête. Les deux actrices se rapprochent, émues, et écoutent, pressées l'une contre l'autre.) « Déjà ? » claire. « Dépêchons-nous. Madame va rentrer. (Elle commence à dégrafer sa robe.) Aide-moi. C'est déjà fini, et tu n'as pas pu aller jusqu'au bout. »

Tandis que les bonnes commentent leur propre cérémonie, circulent des bribes d'information concernant l'intrigue qu'elles ont fomentée, en faisant emprisonner l'amant de Madame par une fausse dénonciation. C'est alors que celui-ci téléphone, et fait savoir qu'il est en liberté et attend sa maîtresse. À partir de cet événement, qui signe la perte des deux sœurs, l'idée du meurtre réel de Madame s'impose. Dès l'instant où celle-ci entre en scène et jusqu'à ce qu'elle en sorte pour rejoindre son amant, règne une tension dramatique liée au projet de lui faire boire une tasse de tilleul empoisonnée. Après son départ, les bonnes reprennent, avec une urgence et une violence nouvelles, leur jeu d'identification. La séparation entre illusion et réalité sera définitivement franchie lorsque Claire, à l'ultime instant de la pièce, avale le tilleul mortel.

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Écrit par

  • : écrivain, metteur en scène, maître de conférences à l'université de Paris-X-Nanterre

Classification

Médias

Jean Genet - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis Historical/ Getty Images

Jean Genet

<em>Les Bonnes </em>de J. Genet, mise en scène de Luc Bondy - crédits : Lieberenz/ ullstein bild/ Getty Images

Les Bonnes de J. Genet, mise en scène de Luc Bondy

Autres références

  • LITTÉRATURE FRANÇAISE DU XXe SIÈCLE

    • Écrit par
    • 7 278 mots
    • 13 médias
    ...au tournant des années 1940-1950 : en sourdine chez Jean Genet (1910-1986) qui radicalise par la suite dans des préfaces introductives à ses pièces, Les Bonnes (1947) ou Le Balcon (1956), ses thèses hostiles au théâtre à l’italienne, et son idée d’une sublimation spectaculaire du néant et...